jeudi 22 décembre 2022

Salman Rushdie, « La solitude du coureur de fond » * ou la partition des silences

Quand on atteint ce seuil... Celui où l'on assassine un écrivain parce qu'il a écrit une oeuvre de fiction... Il est salutaire de franchir cette lisière où la fiction s'empare du réel.  

-       Aujourd’hui, « la solitude du coureur de fond » me fait mal.

-       Que veux-tu dire ?

-       As-tu entendu parler de Salman Rushdie ?

-       Tu te moques de moi !?

-       Par les temps qui courent, il est préférable de préciser les choses. 

-       Qu’est-ce qui te prend ? Tu me connais pourtant !

-       Oh ! On croit connaître l’autre, mais la nature humaine révèle bien des surprises. J’ai cru bien connaître tous ceux qui étaient discriminés et auxquels je m’associais pour défendre leurs droits au nom de la liberté et de l’égalité. 

-       Qu’est-ce que tu racontes ! Nous sommes des universalistes dans une démocratie. Tout ça… va de soi ! 

-       Tu trouves ! Ferais-tu partie de cette majorité silencieuse dont certains se disent aussi universalistes et qui préfèrent se taire et laisser quelques minorités d’identitaires imposer leurs diktats à l’ensemble de la collectivité ? Les exemples se multiplient aujourd’hui. Ils investissent l’espace public, les lieux culturels, institutionnels, universitaires, et j’en passe. Et tout cela, en faisant fi de la majorité. Ils réécrivent l’histoire, censurent les livres, la culture, en traitant tous ceux qui ne sont pas leur miroir de racistes, de sexistes, d’homophobes, et j’en passe, là aussi. Ah ! j’oubliais… Nous sommes aussi fascistes. Tout cela dans le seul but d’espérer nous culpabiliser et par ricochet de nous faire taire, car vois-tu, à leurs yeux nous sommes tous coupables.

-       Mais ce sont des méthodes totalitaires !

-       Je ne te le fais pas dire.

-       Mais… qu’avons-nous fait ?

-       Es-tu devenu stupide à ce point ? Coupable de quoi ! Eh bien, tout simplement d’être un blanc, un hétéro ou de se revendiquer d’être tout bêtement un homme ou femme, pour ne prendre que quelques exemples. Et pour ce que nous représentons, ils veulent nous blacklister. 

-       Blacklister ?

-       Oh ! Pardon… J’aurais dû dire « blanclister ». Ça aurait pu faire rire autrefois ; mais aujourd’hui, même le mauvais humour te jette dans la fosse aux lions ou t’envoie en place de Grève. Non… Désolé, je me trompe d’époque. Je voulais dire condamné par les réseaux sociaux. Oui, les époques évoluent en technologie, mais les esprits, eux, sont restés en place de Grève. Aujourd’hui, utiliser le mot « blacklister » pourrait faire de moi un raciste. 

-       C’est à ton tour d’être idiot. Tout d’abord tu exagères et ensuite « blanclister » n’existe pas ! 

-       Aujourd’hui, les mots n’ont plus aucun sens. Et ceux qui en avaient… En place de Grève ! Non, malheureusement, je n’exagère pas. Sais-tu que dans certains conservatoires, il y a des élèves qui commencent à s’insurger parce qu’ils trouvent discriminatoire cet instrument de musique que l’on nomme un piano. 

-       Un piano ! Et pourquoi ? 

-       Parce que les touches noires sont minoritaires.

-       C’est une blague ?

-       Non, ce qu’il y a de plus sérieux et de véridique.

-       Non, mais tu es tombé sur la tête pour me raconter des trucs pareils !

-       Décidément, tu ne vois pas ce qui se passe au sein de nos institutions, de nos universités et écoles. Quant à nos politiques, ils appliquent celle de l’autruche sous le même étendard… le « pas de vagues » ; feignant au passage d’oublier qu’ils mettent en danger les fondations mêmes de notre démocratie. Mais aurais-tu, toi aussi, fait tienne la devise « Je n’entends rien, je ne dis rien, je ne vois rien » ? 

-       Peux-tu m’aider à y voir un peu plus clair ? 

-       Commence par entendre et le reste viendra. Écoute d’abord cet assourdissant silence qui nous entoure. Tiens, prend l’exemple de l’école. Un espace démocratique et laïque qui donne sa chance à chacun. N’est-il pas devenu un terrain de guerre, gangréné par les actions de ces groupes identitaires et communautaristes qui remettent en question la moindre virgule qui ne leur plaît pas dans l’enseignement de leur professeur ? Et certains ne cherchent-ils pas à imposer dans ces espaces leurs us et coutumes dogmatiques qui ne concernent qu’une minorité ? Et comme si les uns ou les autres avaient les compétences requises, chacun y va de sa griffe émotionnelle, sexuelle, identitaire, dogmatique et jette en pâture l’enseignant qui ne lui convient pas sur la toile publique. Tu vois, quand le corps devient un espace politique, même si les plus jeunes sont manipulés et n’en ont pas toujours conscience, les tribunaux populaires fleurissent dans le jardin d’une démocratie qu’ils proclament à leur seule effigie. Et je ne te parle pas de tous ces conférenciers, chercheurs et autres spécialistes dont les colloques ou débats sont annulés sous la pression de ces minorités, ni de ces spectacles chahutés ou censurés par ces nouveaux inquisiteurs de la pensée, qui veulent purement interdire et valider de leur seul point de vue, ce qui est juste ou pas pour l’ensemble. Crois-tu que tout cela aurait pris cette ampleur, si les enseignants avaient été soutenus par leur hiérarchie qui donne implicitement raison aux élèves offusqués par cette virgule qui n’est pas un point ? 

-       Un point noir.

-       Ne dis pas des choses comme ça ! 

-       Mais dis-moi, quel rapport tout cela a-t-il avec Salman Rushdie ?

-       J’allais y venir, mais tu m’as fait faire une digression qui pourrait faire croire à un amalgame. Là, on monte en puissance. Non ! Là… On atteint l’innommable ! Vois-tu, toute intolérance finit par conduire à l’extrême. Mais avant de poursuivre sur cette question, il est important que je sois plus précis sur les quelques points évoqués et ce, afin d’éviter méprise et contresens. Si la parité et la représentativité des femmes et des minorités sont des facteurs qu’il faut bien évidemment défendre car effectivement il y a beaucoup de discriminations envers eux ; le choix d’un candidat, quel que soit le domaine, ou d’une œuvre artistique, ne peut avoir pour critère prioritaire que la compétence et le savoir-faire. Et ce, bien sûr, quel que soit le sexe et la couleur. Mais aujourd’hui, il faut cocher prioritairement les cases genre, sexe, couleur, pour appliquer des critères jugés désormais politiquement corrects. Des critères qui donnent bonne conscience et surtout permettent d’obtenir des subventions, quitte à évincer de réelles compétences et à censurer ceux qui ne rentrent pas dans ces nouvelles cases. En agissant ainsi, n’ouvrons-nous pas l’ère à de nouvelles discriminations ? À moins que nous ne tombions dans l’ornière de l’absurde et de la démagogie, qui comme tu le sais, ne font en rien avancer l’égalité et la parité. 

-       Cette fois, tu fais tout seul une digression …Et Salman Rushdie ?

-       Tu as raison, mais certains détours permettent de mieux comprendre la suite. Et là, j’en viens à Salman Rushdie. Là, il s’agit d’ôter la vie ! Le climax de l’horreur, décidé par une minorité religieuse, pour bâillonner la liberté d’expression, l’art et la culture, entre autres. Trouves-tu normal et rationnel qu’au nom d’un dogme religieux on décide de la vie et de la mort d’un écrivain ? Écrire et mourir, parce que l’encre raconte des histoires que les ignorants prennent pour leur réel. « Les versets sataniques » est une œuvre de fiction. Tu entends… De la fiction ! Mais où est-on ?

-       Et même si cela avait été un essai... 

-       Bien évidemment. Là, tu as raison. Mais comme c’était pour moi une évidence, j’ai voulu te rappeler comment l’invention du réel conduit à ce qu’une fiction tue pour de bon !

-       Tu as beau penser de moi ce que tu veux… Je n’ai pas non plus oublié qu’un enseignant fut décapité pour avoir montré quelques dessins à ses élèves. Et là, nous n’étions pas dans l’enceinte d’une université. Là aussi, tout être censé pourrait dire qu’il perd la trace du réel… Et pourtant, ce qui s’est passé n’est pas une fiction. Et… Si j’avais un peu de courage, je rajouterais qu’assassiner un être humain au nom de Dieu, n’est-il pas le pire des blasphèmes ? 

-       La voilà la question… La peur. C’est elle qui engendre le manque de courage. Mais si l’on cède par peur à tous les totalitarismes, quels qu’ils soient, vers quel monde va-t-on ? 

-       Oui… Certes. Mais que fais-tu tout seul, face à ces minorités armées ? 

-       On s’unit. On se rassemble. On cesse de trembler et d’être sur la défensive. Et l’on n’a nullement honte d’assumer nos valeurs, la défense de nos libertés, de la démocratie, de la culture et de cette si précieuse liberté d’expression. Et surtout, on applique la loi de la république dans l’école laïque.

-       Tout un programme !

-       Simple à appliquer pourtant. 

-       Oui, avec un peu de volonté, de solidarité et un peu moins de lâcheté… peut-être… peut-être…Et Salman Rushdie ?

-       « La solitude du coureur de fond ». Le titre de ce livre m’est revenu en m’interrogeant sur cet assourdissant silence autour de sa tentative d’assassinat. Ces quelques mots m’ont semblé résumer la profonde solitude de ce grand écrivain. Si fort heureusement, il y a eu des élans de solidarité internationaux, ce mouvement a fini par très vite retomber comme un soufflé ; alors qu’un tel acte aurait dû embraser le monde. Là, il y a une anomalie !

    Mais que s’est-il donc passé entre ce 11 janvier 2015, qui vit déferler une marée humaine dans les artères parisiennes et mondiales, et… ce silence, très vite revenu, quelques temps après la tentative d’assassinat de Salman Rushdie ? Et ne crois-tu pas qu’en cédant à la peur, nous abandonnons le terrain de nos libertés et de nos valeurs démocratiques aux obscurantistes et aux assassins ? Et qu’il est grand temps de faire savoir à Monsieur Rushdie qu’il n’est pas seul et qu’il n’a pas perdu la vue d’un œil, l’usage d’un bras et subi de multiples blessures physiques et morales dans l’indifférence générale. Il a écrit une œuvre qu’une immense majorité a lue et appréciée internationalement ; une œuvre que son assassin n'a même pas lue. Ne crois-tu pas qu’il est grand temps que la peur change de camp et que Monsieur Rushdie, qui est un modèle de courage et de talent pour nous tous, se sente un peu moins seul ? … Ne crois-tu pas ?

-       Oui. Tu as raison. Mais... 

-       Il n’y a pas de mais, sinon nos démocraties vont très vite sombrer sous le joug totalitaire de la barbarie. Et l’on parle de courage, dès que quelqu’un se met à contrer ces petits inquisiteurs ! Oui, ils sont courageux et louables ; mais ils sont bien seuls. Il est grand temps de se dire que nous sommes proches du chaos en s’insurgeant dans le seul silence de nos intérieurs. Il est grand temps de se rappeler que la première victime en pays totalitaire est la culture car c’est elle qui fait trembler les dictatures. Elle est notre bien collectif le plus précieux. Il est grand temps de la protéger et d’être solidaire, en soutenant haut et fort tous ceux qui la font vivre librement.

-       Il faut dire que certains groupes politiques n’aident guère. Par pur clientélisme électoral, ils cautionnent insidieusement ces minorités religieuses, en trahissant nos valeurs républicaines.

-       Les liaisons dangereuses n’ont jamais trouvé la voie des lumières et des libertés. S’il n’y a plus de volonté politique, il doit y avoir des voix citoyennes, multiples, qui sortent du silence pour faire rayonner la culture sous toutes ses formes, libres et sans entrave. Contrairement aux apparences, vous n’êtes pas seul Monsieur Rushdie. Non. Vous n’êtes pas seul. Et si écrire est devenu un crime et que l’on continue de se taire, cela veut dire que nous ne sommes plus en démocratie. Notre silence donne des forces aux ennemis de la démocratie et des libertés. L’autocensure est le début du renoncement. Alors non… Vous n’êtes pas seul Monsieur Rushdie. Il y a des kyrielles d’hommes et de femmes libres qui sont derrière vous. Il suffit juste d’une étincelle pour que tout cela devienne enfin visible. Monsieur Rushdie vous êtes un symbole de lumière pour tous les écrivains, artistes et créateurs partout dans le monde pour qui la liberté d’expression et la création sont la puissance vitale de ce souffle universel. Un souffle porteur de cette lumière qui fait si peur à ceux qui n’aiment pas la vie. 

    La force de l’écriture et le courage des écrivains sont des armes lumineuses qui empêchent nos démocraties de s’éteindre. La seule réponse à l’obscurantisme est de lire et de relire vos livres Monsieur Rushdie et de vous dire que nous sommes là, à vos côtés. 


                                                                    *****


* "La solitude du coureur de fond", titre emprunté à la nouvelle de Allan Sillitoe "The loneliness of the long-distance runner".

 

mardi 20 septembre 2022

À PROPOS DE "JOURNAL DE CENDRES"


Qu’est-ce qu’un journal ?  

 

Depuis la nuit des temps, des milliards de pages, des montagnes de cendres ; à chacun sa poussière d’encre. 

 

Quelles que soient leurs formes, les œuvres sont des fragments de mondes dont on ne saisit pas toujours la teneur. Une brèche est ouverte. On est sur un seuil. 

 

Les pages de ce « Journal de cendres » sont nées d’un projet. L’envie soudaine de rassembler la matière de mes nombreux carnets dont l’écriture s’étend sur plusieurs décennies. Faire le tri, ne pas laisser dormir ces kyrielles de pages qui ont recueilli pléthore de pensées et autres traversées. Ce Journal… censé être le premier tome d’une série. Mais l’inévitable s’est produit. 

 

Premiers carnets pris au hasard. Certains mots avaient perdu leur force, certaines pages leur raison d’être ; mais sur d’autres, d’intéressantes redécouvertes. Les « intemporelles ». 

 

J’ai donc commencé à rassembler ces morceaux choisis. Mais lentement, presque insidieusement, des mots nouveaux se sont immiscés entre ces lignes et leurs espaces blancs. Un à un, ils ont évincé cette matière première ; n’en laissant que quelques vestiges et parfois aucun. Sans me retourner, je les ai suivis, tout en prenant appui sur ces pages d’autres temps. 

 

Certains jours, la poésie revenait comme en terrain conquis. Mais ça ne suffisait pas. Un seul genre enferme. Il faut briser les barreaux. S’aventurer vers le grand large. Tenter d’improbables rencontres. Faire cohabiter des mondes. Laisser l’imaginaire s’emparer des pans entiers du réel, comme si on lui redonnait une nouvelle chance dans un espace où il perdait sa propre trace. 

 

D’un fragment l’autre, diverses traversées ont constitué les pages de ce journal : quelques-unes romanesques, d’autres volontairement poétiques, des bribes d’interrogations, des affirmations qui doutent, des certitudes qui savent qu’elles sont sur la scène d’un théâtre, des véracités qui ne peuvent être gommées, des parcelles de dialogues, jusqu’à oser une conversation avec un mort. 

 

Des pages où le réel et l’imaginaire, ce couple infernal, décident de faire pleinement corps. Les mots ont beau se bousculer, jouer le jeu de l’instant nouveau ou du travestissement, ce sont toujours les mêmes qui reviennent ; comme s’il était impossible d’échapper à la nature humaine… Absurdité d’être là, en ce monde, sans rien savoir sur l’origine de ce vivant que nous sommes et de cette mort qui nous rattrape sans avoir l’élégance de nous prévenir. Quant à l’amour, une transcendance qui nous élève jusqu’à la chute.

 

On ne sait rien de l’humain. Parfois, les mots donnent le sentiment d’en savoir un peu plus. Sans doute une invention du réel ayant trop longtemps séjourné dans l’antichambre de l’imaginaire.

 

Silhouettes d’encre s’animent sur un sol blanc. Fantômes ? Mémoires anciennes, endormies ou enfouies ? S’éveillent des voix intérieures. On tend l’oreille. Le silence et son écho. Et les pages deviennent des trous noirs que l’on imagine lumières salvatrices. 

 

Un mot solitaire est tout un univers, mais il peut aussi, parfois, être une racine sans terre.

 

Pages assemblées dans un corps hybride. Elles aussi, demain… des cendres. 

 

Demeure l’idée de la trace dans laquelle la mémoire humaine cherche son empreinte éternelle. 

 

Désir d’éternité. Le mauvais rêve d’un esprit désespéré confronté à l’insupportable réalité d’être une parcelle éphémère du vivant. 

 

La trace. La mémoire. Un jour, il y eut un être humain. Et puis, il a disparu. A-t-il réellement existé ? 

 

Les mots sont là pour rétablir le sens du réel. Les mots sont là pour nous faire douter. Tous les miroirs racontent la même histoire. 

 

Les pages de ce journal peuvent être lues dans n’importe quel sens. Elles sont le résultat d’une expérience où les mots nous rappellent qu’ils ne sont jamais là où on les avait imaginés.

 

 

dimanche 11 septembre 2022

LA CREATION D'UN SITE...


La création d'un site... Une prouesse technique pour la néophyte...

Des pages à feuilleter

Des images à glaner

Des seuils à franchir

https://www.ecrivainmichelegautard.com













vendredi 29 juillet 2022

AU-DELÀ DU SILENCE... DISSIDENCE (Fragment d'un journal)

D’un temps l’autre… Les génocides se déplacent. 

 

Crimes contre l’humanité. 

Plus jamais ça. 

 

Plus jamais ça

Comme un mauvais refrain.

 

Le temps rouille les serments

 

La vie repousse sur les mêmes cendres 

 

D’une génération l’autre

Les cris des tribuns 

 

Un à un, ils allument les mèches

 

Le feu aux poudres de la mémoire 

À réécrire l’histoire.

 

Nuit des temps

 

L’homme

 

Un pas sur la lune

Aucun pas en lui-même.

 


 

*****

 


jeudi 23 juin 2022

EXTRAIT D'UN JOURNAL - ÉCRIRE


Jeux de pistes labyrinthiques 

Les pages sont des seuils qui nous accueillent

 

Écrire

S’éclipser de ce monde

 

Tant d’arbres sacrifiés 

Pour satisfaire ce besoin d’ouvrir des brèches vers l’inconnu

Comme s’il n’y avait pas d’autres issues

 

Marcher

Respirer l’odeur des forêts 

 

En d’autres bois 

On s’enracine

 

Les chaises qui nous accueillent laissent parfois, encore, échapper l’odeur de ces forêts que nous avons quittées pour nous ensevelir sous des montagnes d’encres et de papiers

 

Absence volontaire

Vers quel univers ?

 

On a beau se dire que tout cela est vain

Ne mène à rien 

Que nos cendres recouvriront ces pages à peine l’encre séchée

Que tout cela finira par un naufrage dans la noirceur d’une encre devenue bleue car nous n’avons rien réussi de mieux… Impossible de renoncer

 

À la lisière des mondes 

Une à une les pages

 

 

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jeudi 9 juin 2022

De la pantoufle de vair au plafond de verre, désir d’émancipation - De l’émancipation à l’obscurantisme, altération.

Chacun forge et fonde ses croyances avec une liberté absolue de conscience. Ce qui est légitime et naturel en démocratie. Mais le mot liberté ne doit pas être usurpé et altéré, comme tente de le faire des minorités qui veulent imposer arbitrairement leurs visions dogmatiques à l’ensemble de la cité. Une cité dont les lois communes préservent les fondations de cette démocratie et garantissent les libertés de tout un chacun, à commencer par la loi de 1905.

 

S’il est important et crucial de vivre ensemble dans le respect de nos différences et de nos croyances, aucune de ces différences et croyances ne doit être à l’ensemble imposée.

 

La France est le pays des droits de l’homme, de la démocratie, des libertés et de la laïcité. Mais lentement, tous ces acquis deviennent le terrain d’un jeu politique de communautés qui veulent transformer et annexer l’espace public laïque, en distillant leurs croyances au détriment de l’histoire démocratique collective. Une histoire qui s’est construite au fil de luttes pour que la République soit une et indivisible, en laissant à chacun sa liberté de croyance ou de non croyance.

 

La liberté… Beaucoup sont morts pour elle. Un héritage à préserver. 

 

Mais pourquoi rappeler ce qui semble une évidence ? 

 

Parce que cette démocratie, cette liberté et la laïcité sont de plus en plus fragilisées et mises en danger par des personnalités politiques ! Des hommes et des femmes, qui pour des raisons purement électoralistes, n’hésitent pas à se faire les alliés de groupes communautaristes, en jouant sur des amalgames sémantiques et la victimisation de ces groupes ; notamment des groupes religieux dont le seul objectif est politique et dont les intentions sont l’annihilation de de tout ce qui donne voix et vie aux valeurs démocratiques et universalistes. 

 

Si la banalisation de l’extrême droite est très inquiétante, les liaisons dangereuses des extrêmes à gauche sont tout aussi inquiétantes. Pour des raisons démagogiques et clientélistes, ces partis de gauche n’hésitent pas à s’allier à ces groupes communautaristes dans des prises de positions ubuesques.

 

Pour mémoire, rappelons une nouvelle fois la pensée visionnaire du philosophe italien Antonio Gramsci « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. »

 

Se souvenir de l’histoire empêche de tomber trop précipitamment dans les trous noirs de l’actualité. 

 

Certaines communautés, auxquelles s’allient l’extrême gauche et une grande partie des verts, ont bien compris qu’elles avaient là une tribune en or pour que s’infiltrent leurs idées. Des idées antinomiques à l’idée même d’égalité, de liberté et de démocratie.

 

Alors qu’il y a urgence pour le climat, le maire écologiste de Grenoble, n’a rien trouvé de mieux à faire que de mettre son énergie au service de certaines de ces communautés, en les brossant dans le sens du poil ; jusqu’à se faire leur défenseur dans des revendications qui renvoient la femme à l’âge de pierre ; faisant d’un morceau de tissu, devenu l’arme politique des obscurantistes, l’étendard de la liberté de la femme !! 

 

Si les calculs électoralistes mènent aux pires excès et aberrations démagogiques, cette décision et son argumentaire dépassent l’entendement. Et ce qui est le plus affligeant, c’est que certaines femmes de son groupe cautionnent et défendent cet « étendard liberté » au nom du féminisme !!

 

« Liberté, j’écris ton nom », clamait le poète en d’autres temps. Aujourd’hui, « Liberté, j’écris ton nom » sur le corps de toutes ces femmes qui luttent pour avoir les cheveux au vent dans les pays totalitaires ; à commencer par l’Afghanistan. 

 

« Liberté, j’écris ton nom » pour rappeler la souffrance et les combats de toutes ces femmes qui n’ont nul autre choix vestimentaire et combattent au péril de leur vie en rêvant de toi…Liberté.

 

Il est si facile de se mettre en scène sur des terres démocratiques où la parole est libre, en important des revendications archaïques et patriarcales et de tenter de stigmatiser ceux qui veulent défendre les acquis collectifs de leur démocratie. 

 

« Liberté, j’écris ton nom » car il est salvateur et crucial que cesse l’autocensure qui s’impose de plus en plus en nos cités ; face aux armes paralysantes de l’obscurantisme que sont la peur et la culpabilité, érigées par ceux qui s’autoproclament victimes de racisme, dès que l’on veut s’opposer à leurs dictats. 

 

Non… On ne peut pas accepter la censure et se taire sous le joug de machiavéliques procès d’intention et pernicieux amalgames, qui ne sont proférés que pour couper court à tout débat démocratique. 

 

Non… On ne peut pas renier nos acquis et nos libertés, par peur d’être étiqueté, tel un coupable, pour simplement avoir osé défendre ces libertés au nom de l’histoire collective. 

 

« Liberté, j’écris ton nom », encore et encore, pour qu’aucune chaîne qui se libère ne devienne celle de l’autre. « Liberté, j’écris ton nom » pour que les victimes d’hier n’utilisent pas les armes de leurs bourreaux. « Liberté, j’écris ton nom » pour que rien ne soit jamais fait en ton nom… altéré.

 

 

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lundi 16 mai 2022

EXTRAIT D'UN JOURNAL - À LA CROISÉE DES ARTS, UNE TRAVERSÉE VÉNITIENNE

Venise accueille en ses veines fluviales les artistes de tout temps. Espace ouvert où les frontières se diluent, où les ruelles transforment les pas nomades en d’intemporelles silhouettes. Chacune traverse ponts et passerelles, laissant ici et là quelques empreintes éternelles. 

 

Présences millénaires. Symbiose des mondes et des matières. La beauté et l’art… Un héritage en partage. 

 

Cette traversée se forge dans une lumière lagunaire où les ombres en communion deviennent des alcôves méditatives.

 

D’un pont l’autre, les eaux silencieuses. D’un pont l’autre, les eaux s’animent au rythme des embarcations. Va-et-vient aquatique. Allegro, andante, pianissimo. Variations des partitions au fil des flots. 

 

Glissements, bruissements, chuchotements, s’éveillent de nouveaux langages. Les eaux semblent soudainement en résonance avec ce papier à la blancheur sibylline qui se laisse sculpter, modeler, apprivoiser, sous les mains de l’artiste Claudine Drai. 

 

Elle est là, au cœur de la ville qui accueille son monde en ce mois d’avril 2022. Une exposition au Palazzo Franchetti où ses présences blanches offrent leur part de mystère aux visiteurs. 

 

Silhouettes silencieuses, ces êtres de papier ne sont pas là par hasard. L’artiste a traversé des mondes, les yeux fermés, pour mieux sculpter cette lumière qui s’échappe de toutes ces feuilles blanches. Sculpter la lumière. Peu à peu des êtres en devenir prennent forme. Ils ont toujours été là. Quelque part. Il suffisait d’une main pour sentir, saisir, accomplir. 

 

Telles des apparitions, ces corps de papier venus de la nuit des temps, écrivent l’histoire universelle qui se dissimule dans la blancheur des pages. 

 

Si l’écrivain sait que la page n’est jamais blanche, qu’elle est porteuse de mémoires anciennes, Claudine Drai sait que le papier blanc est porteur de présences. Elle cherche. Elle sent. Elle explore. Sculpte et trouve. Quelque chose est là, dans un pli en devenir, dans cette sensation sibylline qui pénètre les paumes à cet endroit particulier du papier.

 

La vie a repris racine sous les doigts du sculpteur, faisant écho à des mots d’un autre temps. Étaient-ce ceux tracés sur une page blanche par le philosophe allemand Friedrich Nietzsche ? : « Il n’existe au monde qu’un seul chemin sur lequel nul autre que toi puisse passer. Où mène-t-il ? Ne le demande pas, suis-le. » 

 

Ce chemin, le cinéaste Wim Wenders l’a suivi. Et ses pas l’ont conduit vers les œuvres de Claudine Drai. Un appel du grand large. Un murmure entendu dans le bruissement des ailes de tous ces anges blancs. Wim Wenders connait bien les anges. 

 

De cette rencontre un film est né « Présence ». Un « ovni », comme l’a qualifié le cinéaste lors de l’avant-première à Venise le 22 avril 2022 au Multisala Cinema Rossini. Une installation cinématographique en 3D. Une vision tridimensionnelle du monde de Claudine Drai, permettant de s’approcher au plus près de ses êtres de papier dont les corps laissent entrevoir la superposition des temps, des espaces et dimensions. 

 

Le film s’ouvre sur un écran blanc. Voile tutélaire, la pellicule s’imprègne d’une matière vivante. Sommes-nous à l’origine des mondes ? Là où l’être prend forme dans la matière ? Une voix off « apparaît ». C’est celle du cinéaste. Cette voix traverse cette blancheur cristalline. Des mots s’échappent : « L’écran est blanc. Tout blanc. Vide. Un lieu d’attente, de désir. Le blanc évoque la pureté, l’innocence, l’infini, le sacré. » Et puis viennent d’autres mots : « Tout disparaît. Il faut se dépêcher si l’on veut voir quelque chose. » 

 

Voir. Le voile se soulève et la caméra révèle. Gros plan sur un arbre. Ses branches, encore dépourvues de feuilles, nous frôlent dans cette dimension 3D. Il suffit de tendre la main pour effleurer ses bourgeons. 

 

Source matricielle de la page blanche, l’arbre finit par fleurir. La caméra traverse le temps et les saisons. Elle nous propulse au cœur du jardin du Palais Royal à Paris. Un lieu où les mots des poètes sont peints en blanc sur le dos des bancs. Colette est là. La voix off du cinéaste se greffe dans le mouvement de ce travelling qui fait corps avec ce jardin et ces vers blancs. Cette voix nous rappelle que Paris fut « la ville de la poésie et de la page blanche pour beaucoup d’artistes ». 

 

La caméra prend soudainement son envol. Elle s’élève vers des hauteurs, comme si elle était portée par les ailes d’un ange. Des ailes qui nous conduisent dans les salons du premier étage du restaurant Le Grand Véfour. C’est là où l’on découvre les œuvres blanches de Claudine Drai. Un autre envol. 

 

Premiers plans sur un monde aérien. Les êtres de papier ont trouvé leur espace dans l’élégance de ce restaurant étoilé. Leurs présences intemporelles embellissent les lieux d’une quiétude éternelle. 

 

D’un plan l’autre, nous nous retrouvons dans l’atelier de l’artiste ; cet écrin où l’intime se crée sous nos yeux. Le papier plissé, caressé, froissé, façonné, emplit la bande son de présences en éclosion. Magnifique partition.

 

La caméra poursuit son voyage vers d’autres lieux. Des lieux publics où des œuvres de Claudine Drai ont trouvé leur terre d’accueil. Des espaces où ses êtres de papier se sont définitivement installés et observent silencieusement les humains qui les traversent ; comme ce hall d’accueil de l’hôpital Saint-Camille à Bry-sur-Marne ou ces lieux de prière du terminal 2F de l’aéroport Charles de Gaulle. 

 

Des espaces publics aux lieux privés, la caméra de Wim Wenders nous fait franchir des seuils, à nous retrouver dans l’intime des collectionneurs. Cet intime où le monde blanc de Claudine Drai a trouvé demeure. 

 

Par moments, nous revenons dans l’atelier. La bande son devient une voix intérieure, celle de l’artiste en dialogue avec son monde ; une voix off d’où s’échappent des mots issus des pages de ses carnets : « Nous sommes comme enfermés en nos propres images », « Le monde se trouve et se perd au même instant ». 

 

Le dernier plan du film est le regard que pose ces êtres de papier sur notre monde. Les présences blanches de Claudine Drai, tels des dieux veillant sur les humains, contemplent en plongée les silhouettes des voyageurs pressés, en transit. Des ombres qui traversent l’aéroport Charles de Gaulle. 

 

Sur cette image, la voix du cinéaste revient une ultime fois pour rappeler, comme un clap de fin méditatif, que le mot japonais « Kami » signifie à la fois « Dieu » et « Papier ».

 

La page blanche n’existe pas. Elle est un palimpseste qui dissimule des kyrielles de présences mémorielles. Mais les mots deviennent des corps fanés avant d’avoir pu effleurer le monde blanc de Claudine Drai. 

 





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