« Ils ne sont grands que parce que nous sommes à
genoux » écrivait La Boétie.
Les racines de la véracité traversent les temps et quels
que soient les mouvements, les époques…la mémoire endormie finit toujours par
reprendre vie.
Intemporelles lumières, que sont la liberté et la
démocratie. Ces biens si précieux à l’humanité comme l’eau à la vie. Elles
furent tant de fois usurpées, bâillonnées, assassinées dans leur chair humaine.
Sur les terres où elles ont fini par s’installer de façon durable, elles donnèrent
de concert le sentiment qu’elles étaient d’intrinsèques et d’impérissables
vertus que possédaient ces lieux.
Mais il est des seuils où l’écorce ne protège plus les
peaux et l’homme nu, dépouillé de ses acquis, entravé dans sa liberté et dont
la vie est devenue précaire, finit par sentir le danger contre lequel il se
croyait immunisé.
À fleurs de peau, instinct de survie ressurgit. Et
c’est dans ce no man’s land que les rêves redeviennent l’ultime voie. Une à une
leurs racines endormies s’éveillent et germent à faire fusionner le réel, le
rêvé.
Ils furent si nombreux à tomber au champ d’honneur
pour l’équité, la liberté et les mêmes droits pour tous. Leurs victoires ont
fini par s’altérer entre les mains de ceux à qui la démocratie a remis les
clés.
Une fois au pouvoir, la porte en apparence ouverte…pour
tous. Mais l’entrée est filtrée. Et un à un les acquis et les droits fondent
comme neige au soleil. Petits arrangements entre amis. La politique, qui
autrefois un horizon espoir, aujourd’hui devenue le couloir d’une mort lente,
insidieuse pour le plus grand nombre. Quel avenir entre de pareilles
mains ?
Nuit debout, comme une étincelle dans la nuit noire. Un
à un, ils arrivent de partout. Ici, on pose son ego, ses slogans à l’entrée.
Ici, on est citoyen du monde et chaque voix compte.
Ici, il n’y a ni dieu ni maître, ni homme ni femme
providentiels. On écoute. On débat. On improvise. On vit des moments de grâce
comme des ratés. Mais peu importe. Ici, on apprend à devenir le corps vivant de
la démocratie sur lequel on laisse quelque chose de soi. Comme ces mots écrits
à la craie rouge et blanche, à même le sol. Ces mots sur lesquels on marche,
mais que tous voient « Maintenant que nous sommes ensemble ça va
mieux »
Hier encore, ces voix étaient silencieuses, résignées,
face à un avenir sombre, tout tracé. Des voix éparpillées, fatalistes devant
les discours des leaders qui exacerbaient les peurs, devenues le seul terreau où
les idées. Voix muettes à entendre la parole des politiques s’emparant du
programme sécuritaire d’une extrême droite décomplexée, dans un honteux et
déshonorant copié/collé où la discrimination devenait soudainement légitime au
pays des droits de l’homme.
Ces voix silencieuses sont devenues petites veilleuses
qui éclairent chaque nuit la place de la République. Nuit debout pour des
hommes et des femmes qui ne veulent pas vivre à genoux.
Les corps n’ont plus sommeil. Et malgré les
intempéries, leur nuit étoilée. Elle redonne à la démocratie les ailes du phénix
sur une place devenue l’agora où les citoyens sont là, réunis en ce lieu de
tous les possibles, à tenter d’incarner un autre réel et de prendre leur destin
en main.
Pensées fanées ou clonées, sachez qu’il se passe
quelque chose dans la vallée de la liberté, de l’égalité, de la fraternité sous
le regard bienveillant de Marianne, qui à la nuit tombée, retrouve dans la
dignité son pays des droits de l’homme.
Marianne ne pleure plus, elle contemple ce champ de
lumière qui éclaire ses nuits noires. Et lorsqu’au petit matin, un à un ils
quittent la place, elle se demande si le champ de blé, qui illumine ses nuits,
ne sera pas brûlé par ceux qui n’ont plus ou jamais eu d’idées.