samedi 14 août 2021

Extrait d'un "journal" - poèmes et textes divers (en cours d'écriture)

Suaire de sang,


L’homme cherche la grâce et l’amour pour contrer sa nature première.

Souffrance de la chair, de son mystère et de l’éphémère.

 

Quand la bête est dotée d’un esprit. 

Désir d’élévation jusqu’au chaos.

 

Éros et Thanatos jouent à cache-cache avec ses nerfs et ses viscères.

 

Cesser de penser à « cette argile noire », à « ce placenta sanglant » dont savait si bien parler le poète. 

 

« Sueur de sang » où l’on finit par entendre Suaire de sang

 

Les mots ont tant besoin de silence dans ces moments-là. 

 

Il faut avoir une grande confiance en l’humain pour devenir écrivain. 

Une déconcertante naïveté même. 

 

Les mots sont des offrandes bien souvent offertes à l’indifférence, à la vindicte, à la méprise, à l’ignorance. 

 

Jeter l’âme humaine en pâture... Quelle étrangeté ! 

Un acte salvateur, fraternel ou suicidaire ? 

 

Il y a ceux qui caressent les miroirs et puis, il y a tous les autres.  

 

Écrire.

Écrire et sans se retourner, laisser derrière soi cette part intrinsèque qui se détache à jamais. 

 

L’encre emporte. Un seul courant. Un même mouvement. Irréversible.

Les matrices sont comme les rivages, elles sont faites pour être quittées. 

 

Revenir à la quiétude des eaux ; à ce temps où le souvenir s’y baigne sans celui qui le porte. Trop profond le mystère de l’être. La peur de s’y noyer.

 

Oublier le placenta sanglant. S’accrocher à l’esprit qui respire dans cette douceur aquatique. L’écrin utérin conduit inévitablement vers Thanatos. 

Souvenir amnésique. Le fœtus n’emporte de sa traversée que cette singulière impression de douceur. Le linceul du vivant. Au-delà, c’est la solitude et l’errance. 

Son cri… Son premier chant de détresse. 

 

Ultime valve. Les eaux s’échappent. La mère est heureuse, mais l’enfant pleure. 

Dernières résistances avant d’être dissous dans la matière de son propre mystère. 

Un mystère que le nouveau-né finira par chercher ailleurs qu’en lui-même. 

Kyrielles de fausses croyances et autres illusions… À foison.

 

D’un imaginaire l’autre sont nés les dieux. L’homme n’est plus seul. Il s’est trouvé un père. L’architecte de son grand mystère.   

 

La guerre pour étouffer d’autres voix. Voix dissonantes. Voix mécréantes. Elles pourraient le fragiliser ; mettre en danger ses lois et mondes inventés. Des mondes où le dieu-père est devenu sa matière première. Une force supérieure dont il devient l’esclave volontaire, tout en cherchant à entraîner sous ce joug le plus grand nombre. 

 

L’homme aurait tant gagné à avoir confiance en lui-même. Mais l’esprit criblé de doutes, il en appelle à ses forces familières. Ses forces musculaires. Et tout finit dans un bain de sang sanctifié. 

 

Un père à l’image du fils. Il fallait commencer par là. 

Reflet divin. Histoire de reprendre la main. 

 

Un père transcendé. 

Et la mère ?  

 

La violence de l’éros fait des femmes des vaincus les victimes des vainqueurs. C’est la guerre. On peut tout y faire. On en oublie les mères. Tout cela se fait au nom du père. Et l’homme se vautre dans les fentes pour justifier sa foi et conjurer ses peurs. 

 

Sans courage, sans audace, l’homme finira enchaîné à sa propre destinée. Mais en attendant, c’est la guerre. Celle de l’autre. Toujours celle de l’autre. Celui qui a un autre imaginaire. Et pour le faire taire, on ne tire plus de balles. On ne lance plus de grenades ni de bombes. On éjacule dans l’espace clos et intime des femmes des vaincus. 

 

C’est la guerre. Le sperme veut sa revanche sur le mystère du placenta. Et c’est là qu’apparaît le sang. Et l’esprit ? Il est préférable de l’oublier. Il est préférable de ne pas penser. D’ailleurs, ces hommes-là ne savent rien de ce mot. Penser ! Ils n’ont pas la clé. Ils veulent juste forcer les serrures. S’en satisfaire. Du travail à la chaîne. Rêves de plaisir. Enfin jouir. 

 

Et l’amour ? 

Une invention de l’autre camp. 

 

Prisonnier à perpétuité des barreaux de leurs berceaux. Cette guerre-là, jamais ils ne pourront la gagner. Telle est la loi de la nature. Elle sème sans explications. Alors, l’ignare a inventé des textes sacrés et des lois à son avantage. 

 

Comment accepter ce pouvoir naturel de la mère ? Elle seule sait. Elle seule porte. 

Il leur fallait une autre force.

 

Maman. Était-ce tout cela que proférait mon premier cri ? 

Les filles crient aussi à la naissance. 

Peut-être savaient-elles que leurs ventres seraient un jour souillés par des soldats à la cervelle de plomb. 

 

Le ventre des femmes, l’homme y revient toujours.

L’antre des femmes, c’est l’impuissance de la bête qui avoue en plein jour ses peurs enfantines. 

 

Sempiternel refrain. Funeste refrain. 

Qui après cela pourra prendre une main de femme sans frissonner ?

 

Piètres soldats, imaginez vos mères pénétrées, éventrées par l’ennemi. Imaginez vos femmes, vos sœurs ou vos filles. Imaginez et vous verrez cette flamme qui pousse l’homme vers son obscurité. Imaginez. Et vous verrez le miroir de vos dieux devenus assassins sous vos propres mains. Vous qui n’avez pas le courage de vos actes. Vous qui n’avez pas le courage d’agir en votre propre nom. Vous qui voyez encore le monde derrière les barreaux de vos berceaux. 

 

La guerre… pour en oublier que les cendres sont humaines. 

La guerre… la voie où convergent les fils du père. 

La guerre… pour en oublier les différences qui façonnent les prières.

 

Et toutes les poussières sont emportées par les vents. 

Ce souffle est sans frontière, sans croyance. 

Inlassablement, il emporte vers la mort.

Et tous ceux qui rêvaient de puissance et d’éternité,

Balayés sans que le père ne vienne les sauver. 

 

Il paraît que l’amour aurait pu transformer ce monde. 

Mais « l’argile noire et le placenta sanglant » constellent immuablement la nuit des temps. 

 

 

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