"Les amants irradiés" - résumé et extraits d'un roman /"L'ange noir" (nouvelle version) - résumé et extraits d'un roman /"Des hommes en chemin" - résumé et extraits d'un roman


Les amants irradiés : résumé (roman) 

Emma M écrit depuis la nuit des temps. Sur une page, rien ne peut lui arriver. L’écriture comme une mansarde qui la protège des dangers du monde. Comme autrefois son grenier d’enfance.

Sa rencontre avec Hans fait radicalement bouger ses lignes les plus profondément ancrées. Hans devenu l’absent à jamais présent. Tel Ulysse, à finir par le devenir. Pendant ce temps des prétendants. Pour les tenir à distance, elle écrit des livres. Un à un, le fil qu’elle tisse. Un rempart, mais aussi le seul lieu où elle peut le retrouver.

Devenue un écrivain à succès, elle est là où elle voulait être. Persuadée, que c’est sous les feux des projecteurs qu’il lui reviendra.  

Un événement va bouleverser sa vie à la faire revenir sur des pas anciens.

Peu à peu le dédoublement de l’être, de la plume, à faire disparaître le corps dans les eaux troubles où autrefois Narcisse.
                                            
                                              *****

Divers extraits du roman "Les amants irradiés"

Extraits du chapitre "Le testament du libraire"
 


(...)

Qui aujourd’hui se souvient
Des amants irradiés
De Kenzaburô Ôé

Qui en ces temps
Où Fukushima
Pense encore à Hiroshima

Comme si tout cela
N’existait pas
Pour tous ceux qui n’y sont pas

Comme si tous ceux
Qui voulaient se souvenir
Les anges du pire

(...)

Dis-moi Hiroshima
Si ces mots inventés

Dis-moi Hiroshima
Que tout cela
N’a jamais été

Peut-être alors
Vais-je rester

Et toi
Fukushima

Dis-moi
Si ça peut m’arriver
Aussi à moi

Et j’entends s’ouvrir
Les pages des livres 
Et toutes à me dire
En un seul soupir  

Un jour
Une à une
Toutes les amazones de la toile
S’éteindront en un seul éclair
Sous la volonté incontrôlée
De la fée électricité

Et c’est dans cette obscurité
Que s’illumineront les lampions
De toutes ces âmes qu’elles ont tuées
Et dans une immense ronde
Elles s’uniront aux étoiles
Pour écrire sur la voie lactée
Tout ce que la lumière

(...)


                                        *****

Extraits du chapitre "les amants irradiés"

(...)

La jeune fille
N’avait pas le teint des hibakushas
Il chercha à dissimuler le sien

Le visage penché vers le sol
À juste lever les yeux
Pour la regarder

Cette posture
La fit sourire
Puis éclater de rire

Aucun
Avec ce regard là
En faisant cette tête là
N’avait poussé la porte de son magasin

Ensemble
Ils rirent
Et le jeune homme
Cessa de penser au pire

Une rémission
Ça peut tenir bon

Il voulait acheter un disque
Mais ne savait lequel

Il y avait si longtemps
Il n’était plus à la page

D’où venait-il
Pour ne pas connaître
Les tubes de l’été

Il était si jeune
Quand ça a commencé

Il n’a rien dit de plus
Mais sa voix venait de si loin
Qu’elle donna à la jeune fille
L’étrange impression
Qu’il parlait pour plusieurs

Comme un porte-voix
Venu d’ailleurs

Ils avaient pourtant presque le même âge
Elle aussi était d’Hiroshima

(...)

Dans la ville d’Hiroshima
Les enfants se sont aimés
Les enfants ont oublié
L’étrange décor qu’ils traversaient

Mais pas les corps
Le médecin qui le suivait
Lui avait dit

Ce n’est qu’un répit

(...)



                                          *****

Extrait du chapitre "La correspondance"

Chère Emma
Je n’aurais jamais dû répondre à votre lettre
Mais ma traversée de Fukushima
M’a quelque peu fragilisé
J’ai été volontairement silencieux
Et j’en suis profondément désolé
Parce que je sais
Ce que pour vous signifie l’attente
Et votre lettre
Sans jamais un instant le dire
Mais comme toute lettre
Dans l’espoir d’une réponse
On n’écrit pas simplement pour dire
Pas même pour se dire
C’est la réponse
Qui donne la force d’envoyer une lettre
Comme c’est un autre corps
Qui donne l’envie d’avoir envie
Mais je crains de vous décevoir
Car je ne sais que vous dire
Je sens ma main fébrile
Ses mouvements volubiles
Et ce n’est pas les mots qu’elle trace
Qui la rendent ainsi
C’est cette présence inhabituelle
Cette présence
À qui l’on n’a plus besoin de dire
Et qui à elle seule nous suffit
Oui
Ce que cette main écrit
N’a aucune importance
Seulement celle à qui elle s’adresse
Et vers laquelle
Et c’est vers vous Emma
Vous
Qui me donnez le goût
De faire ces pas
Dont la force me trouble
Et me bouleverse
Si je devais vraiment vous répondre
Je vous dirais
Que je ne comprends pas
Ce que vous attendez de moi
Vous qui savez déjà tout
Que puis-je pour vous
Sans doute rien de plus que vous
Votre geste m’a un instant fait penser
Que je pourrais peut-être
Et puis je me suis dit
Non
C’est à cause de lui

(...)


                                      *****

Extrait du chapitre "Les carnets intimes d'Emma M"
 
Je m’appelle Emma M
Je suis assise à la table de ce café
Où quelques mois plus tôt je l’ai rencontré
Je ne sais rien de lui
En dehors des instants vécus
Des mots prononcés
Pour la première fois
Je n’ai pas eu envie d’aller
Au-delà
Franchir cette frontière
Qui habituellement nous tient
À vouloir savoir
Tout ce qu’est l’autre
Savoir
Où l’on met son corps
Qui entre nos doigts
Qui derrière cette peau
Nous aimante
Nous alimente
Le temps qu’il faut
Pourquoi cette peau
Elles sont si rares
Que cherche-t-on
Sous le drapé du jouir
Quelque chose nous frôle
Sous l’étreinte
On se sent
Un peu
Enfin
Assise à la terrasse de ce café
Ce n’est pas lui que je cherche
Mais quelqu’un à qui parler
Il m’a fallu cette rencontre
Pour comprendre
Que quelque chose en moi avait muté
Indiciblement muté
Certains hommes nous gomment
D’autres nous redonnent
Pas un seul ne choisit
D’être là
Où nous les mettons
Eux aussi
Quelque part
En nous
S’égarent
Se retrouvent
S’inventent
Souffrent
J’avais oublié
Qu’eux aussi
(...)
                                     ***** 


Résumé de la nouvelle version du roman "L'ange noir"



Heiner Victor Berger est né à Dresde en 1942, d’un père allemand et d’une mère française. Sous ses premiers pas, le chaos d'un monde, les ruines d’un berceau.

 

Le poison de l’histoire va lentement se distiller dans les veines de cette génération. Innocente, elle va devoir néanmoins apprendre à vivre avec le poids de cet héritage.  

 

En février 1945, Heiner et sa mère fuient in extremis l'Allemagne et se réfugient en France. Sans le savoir, chacun emporte son fantôme. Elle, son grand amour. Lui, le spectre de ce père inconnu, universitaire et philologue, qui mourra sur le front russe dans son uniforme allemand. Son corps ne sera jamais retrouvé.

 

Comment ce père érudit a-t-il pu s'enliser en pareil destin ? À quoi sert la connaissance si elle n’empêche pas « ça » et conduit là ?

 

Sur les terres maternelles, Heiner Victor va lentement se dédoubler. Heiner va vivre dans l’ombre, le silence et la culpabilité de crimes qu’il n’a pas commis et acceptera de porter seul le poids de cet héritage sous l’hégémonie de Victor. 

 

Ce dernier saura très tôt se grimer des seuls traits français de sa mère et subtilement se glisser dans la peau de multiples doublures. Il vivra dans le déni et la négation viscérale de ses origines allemandes sous le regard silencieux de son double. 

 

70 ans plus tard, Victor revient à Dresde pour la première fois. La ville, depuis longtemps reconstruite, lui donne une impression de décor de cinéma. Un espace artificiel où semble régner une quiétude amnésique. Pourra-t-il retrouver dans ce décor « fictionnel » les traces d’une réalité passée dont il n’a plus le souvenir ?

 

En quête d’un monde enseveli, Victor va errer dans les rues de la ville. Une rencontre inopinée avec une jeune française va ébranler ses certitudes et la nature de ses pas. Le récit, qu’elle lui fera de son histoire, entraînera Victor dans l’enceinte du camp de Sachsenhausen.

 

Comment Heiner vivra-t-il cette rencontre, lui qui tel « le masque de fer », vit depuis si longtemps dans le silence de sa geôle ?

 

À une croisée de chemins, la traversée intemporelle de deux destins où l’amour des femmes transcende les temps, les frontières et les guerres.

*****

Divers extraits de la nouvelle version du roman "L'ange noir":


« (...) Les hommes n’aiment guère se confier. Nous avons si peur de voir nos peaux dénudées sous l’incandescence d’aveux qui trahiraient notre fragilité. Nous qui nous rêvons toujours conquérants, restons cimentés en certains de nos élans. Fidèle compagne, notre lâcheté nous ensable sous nos masques triomphants. (...) »

 

(…)

 

« (...) La dernière image que j’emportai de cette Allemagne, fut un ciel d’encre, zébré de guirlandes fluorescentes que je contemplais plein d’admiration de la fenêtre du wagon qui m’éloigna jusqu’à ce jour du lieu de mon enfance. (...) »

 

(…)

  

« (…) Je ne sais combien de temps je suis resté le nez collé à la vitre, à contempler ce spectacle nocturne qui s’éloignait au fur et à mesure que notre train avançait. Je me souviens seulement de cette joie qui m’animait et que je voulais à tout prix partager avec ma mère. 

 

Lorsque je me suis tourné vers elle, elle pleurait. Et dans un geste mécanique, sa main caressait son ventre, habité par la présence embryonnaire de ma sœur. Je ressens encore la profonde solitude de cet instant où je n’avais aucune main à laquelle me raccrocher. 

 

Je n’eus alors nulle autre voie que celle de cette fenêtre, derrière laquelle cette nuit phosphorescente m’apportait une singulière chaleur réconfortante. Je m’entends encore dire à ma mère, sans détourner le regard de la vitre, « Oh ! Maman. Comme il est beau ce sapin de Noël géant avec toutes ces énormes guirlandes ! » 

 

Ce fut à cette seconde précise que les lumières du train s’éteignirent et plongèrent notre wagon, soudainement immobilisé en rase campagne, dans une obscurité profonde ; laissant ma phrase suspendue aux guirlandes de ce sapin imaginaire que dessinèrent pour moi en signe d’adieu, les ténèbres de ce ciel allemand. 

 

Je sentis alors glisser sur mes lèvres la paume moite, pesante et oppressante de ma mère (…) »

 

(…)

 

« (...) Papier d’identité s’il vous plait ! À chaque fois je sursautais. À l’école ce fut pire. J’étais encore novice dans ce jeu de cache-cache avec mes deux frontières. Moi seul choisissais de les franchir ; bien souvent à la nuit tombée. Mais la lumière du jour m’obligea très tôt à vivre de façon mensongère sur les terres de ma mère où nous avons fini par nous réfugier. C’était juste après la guerre. C’était en France.

 

Heiner Berger. Non ! Je m’appelle Victor Berger. Tout était dans la subtilité de la prononciation. À l’écrit, cela ne changeait rien. Tout se passait à l’oral. Si la voix m’obligeait à traverser, contre mon gré, la frontière allemande sous des regards inquisiteurs, ma résistance à prononcer différemment mon nom les entrainait dans ce trouble du langage que l’on nomme gammacisme. Le « g », troisième lettre de l’alphabet grec, était devenu ma croix. Celle que mon père m’avait léguée en me donnant son nom. 

 

Je ne vous en ai jamais parlé, ma chère Mathilde, mais Heiner Victor Berger est mon nom officiel. Celui qui figure sur mes papiers. Tout le jeu a, jusqu’à ce jour, consisté à évincer le premier pour donner toute sa légitimité au second. Et c’est là, où j’entre en scène sous mon vrai faux nom. 

 

Heiner Berger est né d’un père allemand. Victor Berger d’une mère française. Victor est mon deuxième prénom, choisi à ma naissance par ma mère en souvenir de ses racines. (...) » 

 

(…)

 

« (…) Je glissais indéfiniment sur ce visage énigmatique, insaisissable, sans éclat. À me raccrocher in extremis aux branches sombres de ces petites lunettes rondes qu’arborait ce visage. Deux cercles noirs qui abritaient ce regard impénétrable. Il me faisait peu à peu revenir de ce lointain où mon extrême solitude m’avait quelques instants entraîné, à me glacer les os, à sentir leurs pointes stalactites s’enfoncer dans mes chairs vulnérables, jusqu’à cette lisière où une incommensurable douleur me faisait d’instinct revenir au monde.

 

Comme j’aimais ces petites lunettes rondes qui trahissaient une vue défaillante et faisaient de cette imperfection mon bonheur simple. Elles humanisaient ce visage et me rendaient un père, loin des clichés dont je l’affublais.  (…) »

 

(…)

 

« (...) Apprendre à marcher dans les décombres… Fallait-il autant de temps ? 

 

La force des racines. On n’y échappe pas. Ne pas savoir d’où l’on vient…Comme cela doit parfois faire du bien. (...) »

 

(…) 

 

« (…) Bouches cousues de fils blancs, de fils rouges, de fils noirs ; coutures sanguinolentes recouvrant les corps des amants insouciants, sacrifiant leurs descendants. À hanter mes rêves d’adolescent. À entendre mes cris étouffés qui s’échappaient des clôtures barbelées, derrière lesquelles je voyais s’éloigner la silhouette enlacée de mon père et de ma mère. (…)

 

« (…) Quand je fus étudiant, je cherchai inconsciemment à m’identifier à des figures héroïques. Pour cela, j’allais glaner sur les terres de mon père, espérant y trouver de quoi me satisfaire. Mes quêtes me conduisirent à découvrir « La Rose blanche ». Un groupe de résistants allemands, antifascistes que fondèrent deux étudiants, Hans Scholl et Alexander Schmorell, l’année de ma naissance. J’admirais leur courage exemplaire et m’accrochais dur comme fer à leurs idéaux. Ils me donnèrent des forces inestimables et un immense espoir dont toute jeunesse devrait prendre de la graine, dès que les germes du fascisme commencent à poindre sur une terre et tente d’en gangréner les esprits. 

 

Parmi mes premières conquêtes féminines, je cherchai naïvement une figure semblable à celle de Sophie Scholl, arrêtée par la gestapo et guillotinée avec son frère Hans et la plupart des membres du groupe « La Rose blanche ». Ceux qui échappèrent à cette mort atroce, la trouvèrent dans les camps où ils furent envoyés. Leurs bravoures m’arrachaient les larmes d’espérances que le Reich m’avait ôtées. 

 

« Die Weisse Rose », mon père ne pouvait ignorer l’existence de ce groupe dont la figure de proue était l’un de ses homologues, l’universitaire Kurt Huber qui fut comme Hans et Sophie, guillotiné. (...) »

  

(…)

 

« (...) Elle avait relevé sa chevelure brune ; sans doute en raison de la chaleur. Il était donc difficile d’imaginer la longueur de ses cheveux, enroulés sur eux-mêmes et retenus par une attache. Ils n’étaient ni raides, ni frisés, mais indiciblement ondulés. Sa coiffure n’avait rien d’apprêté. On sentait qu’elle avait machinalement fait le mouvement de rassembler ses cheveux à la hâte et les avait à l’aveugle maintenus à distance de sa nuque. Quelques mèches rebelles retombaient négligemment sur un côté. 

 

Elle avait une peau extrêmement blanche, semblable à celle des gens du nord. Un épiderme sur lequel on pouvait percevoir une légère rougeur qui trahissait les attaques récentes d’un soleil ardent. 

 

Ses lèvres étaient parfaitement dessinées par un rouge à lèvres rouge orangé qui faisait subtilement écho à certaines couleurs de sa robe. Elle était plutôt jolie, mais je n’arrivais pas à en savoir davantage, son regard étant dissimulé derrière ses lunettes noires, qu’elle n’avait toujours pas ôtées malgré l’obscurité des lieux. 

 

J’avais à peine fini de passer commande que je l’entendis dire « la même chose que monsieur ». Ce fut à cet instant, qu’elle ôta ses lunettes. (…) »

 

(…)

 

« (...) Face à moi, toutes ces photos enfermées en un même linceul, tissé dans la puissance lumineuse d’un obscur noir et blanc. Il était grand temps pour moi de trouver la sortie. Sur le chemin qui y conduisait, je découvris au passage la photo de ce soldat mort, carbonisé dans son uniforme nazi ; recouvert de poussière et dont le squelette crânien portait encore la trace calcinée d’une ancienne chevelure. Quelques touffes éparses, hérissées et desséchées, rappelaient qu’un jour il y eut un corps vivant, enfermé en pareil costume. 

 

Richard Peter avait figé pour l’éternité ce soldat inconnu qui aurait pu être mon père. Papa. L’envie de t’appeler ainsi pour la première fois. (…) »

 

(…)

 

 « (...) Si le mal doit triompher, même les morts ne seront pas en sûreté. » Ces mots de Walter Benjamin me tenaient inopinément la main, à cet instant-là. (...)»


(…)

 

« (...) Lorsque l’on m’apporta mon café, ce matin je n’étais pas d’humeur au thé, je fus contraint de détourner le regard de cette vue qui m’hypnotisait malgré moi. Ce fut-là, qu’elle m’apparut. Eurydice, sans Orphée, avait réussi seule à revenir du royaume des morts. Envoûtante et vertigineuse apparition, vêtue d’une magnifique robe bleue. Je n’en croyais pas mes yeux. Je n’étais pas musicien, mais si à cet instant l’on m’avait mis entre les mains n’importe quel instrument, j’aurais envoûté la salle de ce restaurant. 

 

Dès que son regard croisa le mien, il s’illumina. Claire quitta aussitôt la file où elle attendait patiemment son tour pour être placée et se dirigea d’un pas audacieux vers ma table. Elle fut arrêtée en chemin par un serveur. Je n’entendis pas ce qu’il lui dit, mais je la vis pointer un index en direction de ma table. Le serveur fit un signe de tête et la laissa arriver jusqu’à moi. (...) »

 

(…)

 

« (...) Arrête Heiner ! On ne rattrape rien ; même si l’on finit par trouver ce que nous cherchons. On veut savoir. Ce mot nous colle à la peau, à nous faire croire qu’il tente de nous en offrir une nouvelle ; mais cette inconnue nous terrifie car nous ne savons rien d’elle. Alors, on s’accroche dur comme fer à ce vieil épiderme recouvert de toutes nos blessures et nous continuons à chercher pour ne pas être totalement désespéré. (...) »

 

(…)

 

« (...) Les mains qui caressent un corps s’attachent à la seule surface des peaux, sans jamais penser à ce qu’elles dissimulent. Si l’esprit qui les guide, s’aventurait un peu plus profondément, il comprendrait peut-être. Oui, peut-être… (...) »


(...)


-       Oui, il y a des angles morts. Est-ce l’un d’eux qui m’a aidée à franchir cette porte de fer sur laquelle étaient forgées ces fameuses lettres noires ? … « Arbeit macht frei » … Elles étaient si près... Bien trop près… Je me suis mise à accélérer le pas. Au fur et à mesure que je m’enfonçais à l’intérieur du camp, je sentais en moi une force inconnue. Elle m’aidait à avancer, tel un fantôme au milieu de cette immensité. Je… Je ne pensais pas que c’était aussi vaste. Un champ… À perte de vue. Par endroits, l’herbe avait jauni… Au loin… Une muraille… Un mur… Quelque chose qui encerclait cette vastitude. Et cette chose me disait… Ici, il n’y a pas d’horizon. 

 

(...)


« (...) Demain n’existait pas. Demain n’avait pas d’importance. Certains moments conduisent sur des seuils que l’on ne franchit qu’une seule fois. Nous aurions beau ensemble revenir sur ce même seuil, aucun autre fragment du temps n’aura le goût de celui-là. (...) »


(...)

*****



Des hommes en chemin : résumé   (roman)

Ils forment un triumvirat depuis le lycée. Rien ne semble pouvoir les séparer.

Raymond, Louis, Eléonore, comme les cinq doigts de la main. L’un perd son père, l’autre ne l’a jamais connu et puis il y a celle qui n’a jamais rien perdu mais qui reçoit ce don du vivant comme une histoire insignifiante, plutôt étouffante et qui se met à vivre là où personne ne l’attendait, pas même elle.

L’amour ne s’invente pas. Il a toujours été là, à l’insu de chacun, sans qu’aucun ne soupçonne la force de sa césure, comme celle de ses ouvertures où ceux qui reçoivent finissent par s’égarer, à ne plus rien retrouver de ce qu’ils avaient imaginé.

Et puis il y a Thomas, le marginal qui surgit d’un décor que tous croyaient bien connaître. Thomas, le rebelle qui enseigne la rue, sans savoir dire si elle conduit quelque part.

Paris et ses quais de Seine. Paris et la fontaine Saint Michel comme le décor d’un théâtre qui accueille la vie en pleine éclosion de sa maturation. À conduire dans le repaire où La Pomme. Figure fugace. Reine des berges. Sortie des pages déchirées d’un roman du XIXème qui séduit le temps d’une traversée où chacun croit avoir trouvé.

Des hommes en chemin où la trace d'un amour qui découvre sa propre racine.

                                   *****

Des hommes en chemin : (extraits)

(…)

Maman. Qu’est-ce qui t’arrive ? Est-ce à cause d’un homme ? Maman. Moi aussi j’ai fait pleurer des filles. Maman. Je ne t’en ai jamais parlé, mais j’m’en fous des hommes avec qui tu vas. J’aurais peut-être dû te le dire quand j’ai commencé à grandir. Ça t’aurait peut-être aidée ? Pourquoi on ne se parle pas plus souvent ? Tu lis trop. Et moi pas assez. Mais ça n’a pas rétabli l’équilibre. On s’aime. On se le dit. Ça rassure. Mais qu’y a-t-il derrière ce mot ? Pourquoi nous tient-il ? Qu’est-ce que tu gardes encore pour toi pour qu’aujourd’hui je trouve ce mot singulièrement banal ? Presque une routine. Un amour présent mais sans surprise. Peut-être y a-t-il eu trop de silences ? Tu m’as laissé grandir trop vite, seul avec mémé. Tu croyais que je savais tout. Même avant ma naissance tu me prenais pour un génie. À l’école je t’ai fait déchanter. Mais tu n’as pas cédé. Tu savais que j’avais quelque chose. Quelque chose que je ne voulais pas montrer. Mais c’est peut-être toi qui l’as gardé. N’y as-tu jamais pensé ?

(…)
*****



(…)

Jean s’approcha de la table et vint les saluer.

-      Salut Raymond. Tu as ressorti le matériel ?

-      Tu te souviens de ça ?

-      Ben oui…

-      On est déjà de vieux cons pour que tu ouvres la malle au souvenir ?

-      Qu’est-ce qui te prend ?

-      Il vient de perdre son père. Dit aussitôt Louis

-      Ah ! Excuse-moi Raymond…Je ne savais pas.

-      Il n’y a rien à savoir. Je le connaissais à peine…Il n’est pas bon ton café. Tu n’as pas une bière ?

-      J’te ramène ça.

-      La même chose pour nous. Lui lança Eléonore.

-      (…)

-      (…)

-      (…)

-      Tu vois Louis…On est pareil maintenant.

-      Pourquoi tu dis ça ?

-      Pour te faire plaisir.

-      Non. On n’a jamais été pareil. Je te l’ai fait croire. Toi tu le voyais ton père et…je t’enviais.

-      Il faut que mon père meure pour que tu me dises ça…T’es comme ma mère…Il a fallu qu’il meure pour qu’elle me raconte des trucs.

-      Eh ! Vous n’allez pas vous engueuler.

-      On ne s’engueule pas. Pour une fois qu’on se parle vraiment. Tu ne vas pas faire comme ma mère.

-      Oh ! Ça va.

-      Oui ça va. Laisse-nous parler.

-      Je peux partir si tu veux ?

-      Non, tu peux rester. Tu es jolie à regarder.

-      Tu as de la chance d’avoir une bonne excuse.

-      Alors je peux tout me permettre aujourd’hui. Même de te piquer à Louis ?

-      Qu’est-ce que tu racontes ? Je n’ai jamais eu d’histoire avec Louis !

-      Oui, mais lui il en crève.

-      Arrête Raymond ! Je sais bien que tu as de bonnes raisons…Mais ce n’est pas une raison…

-      Oh ! Tu en as du vocabulaire aujourd’hui !

-      Arrêtez tous les deux. Ça suffit !

-      Tu as raison Eléonore. Il faut qu’on arrête de faire les cons.

-      (…)

-      (…)

-      (…)

-      Vous êtes déjà allés au cirque ?

-      Oui, quand j’étais petit.

-      Moi, je n’ai jamais aimé ça.

-      Pourquoi tu dis ça Eléonore ?

(…)


                                              *****

(…)

Arrivé en bas de chez lui, Raymond eut l'envie soudaine de faire demi-tour. Retourner place Saint Michel pour parler avec ce type. Un étrange besoin de le revoir. Comme s'ils avaient encore des choses à se dire. Eh ! L'école de la vie, ça conduit où ? Sur un trottoir ?

(…)

                                             *****

(…)
Ils entrèrent dans le premier café. Thomas se dirigea vers le comptoir. Raymond lui prit le bras et l’entraina vers la salle.

-      On sera mieux là.

-      T’as les moyens toi !

-      Non…J’ai mes habitudes. Avec mes potes, on ne va jamais au comptoir. On ne peut pas se parler de la même façon.

-      T’as besoin de tes aises pour parler ?

-      Je ne sais pas. Je ne me suis jamais posé la question.

-      On voit que t’as été bordé toi.

-      Pas tant que tu crois…Tu viens d’où ?

-      D’un cabinet de médecin et d’un orchestre de chambre.

-      Qu’est-ce que tu me racontes ?

-      Tu veux savoir d’où je sors. Avant de te parler, les gens ils veulent ta pièce d’identité, maintenant. Tu es de quel milieu social…Ah oui…T’es un cas social ! Ça ne m’étonne pas que tu sois dans la rue. Et bien tu fais flop.

-      Eh ! Arrête ton délire. Je ne t’ai pas parlé de ça !

-      Tu m’as demandé d’où je venais…Ça veut tout dire.

-      Je ne pensais pas que t’étais susceptible comme ça !

-      J’ai appris à me méfier…Et puis tu sais…On raconte ce qu’on veut. Mais à toi, j’ai pas envie de raconter de craques. T’as été un chic type au Monoprix.

-      Oublie ça.

(…)


                                               *****

(…)

Raymond marchait en direction du lycée. Lorsqu’il arriva à hauteur du pont Saint Michel, il aperçut un attroupement inhabituel. Agglutinée au parapet, une foule compacte avait les yeux rivés sur les berges. Il s’arrêta un instant pour tenter de voir ce qui attirait tout ce monde à cette heure matinale. Il avait dû se passer quelque chose de grave. Tous étaient silencieux et regardaient.

Il réussit à se faufiler et finit par apercevoir le corps inerte d’un homme allongé sur les pavés du quai de Seine. Il était entièrement recouvert d’un drap. À ses pieds gisaient les restes froissés de ce qu’il croyait être une couverture de survie. Un cordon de policiers empêchait les curieux d’approcher. Les hommes de la brigade fluviale et les pompiers étaient également sur les lieux. 

Raymond resta lui aussi les yeux rivés sur ce corps muet. Etait-il mort ? Cela en avait tout l’air. Il se mit sur la pointe des pieds, espérant ainsi mieux voir. Cette position ne lui en dit pas davantage. À quoi bon s’attarder ? Il s’apprêtait à fendre une nouvelle fois la foule pour poursuivre sa route quand un détail attira son attention. Le bras qui dépassait du drap portait les couleurs familières d’une chemise qu’il crut reconnaître. Un frisson le traversa. Ce n’était sans doute qu’une coïncidence. Lorsque l’on ne sait rien, on invente et l’imaginaire s’empare du moindre indice.

(…)

                                                     *****

(...)

-      Toi qui traines pas mal dans le coin…Tu n’aurais pas entendu parler d’une histoire du côté des berges.

-      Une histoire ? Quelle histoire ? Il y en a à la pelle, ici !

-      Ah non. Tu ne vas pas recommencer avec lui ! Lui dit Eléonore.

-      Eh ! Attendez tous le deux. Je ne comprends rien à vos salades…Vous pouvez éclairer mon phare ?

-      Ce matin, il y a eu un mort sur les berges. Un type avec des baskets rouges et une chemise à carreaux rouges et noirs…Enfin pas tout à fait…Ses baskets avaient juste un liseré rouge. Lui dit Raymond. 

-      Ah ! ah ! ah !

-      Qu’est-ce qui te fait marrer ?

-      Si tu crois que je reluque tous les morts des berges…Ah ! ah ! ah ! Quant à leurs fringues…Ah ! ah ! ah ! Tu m’éclates ! …On voit que la rue c’est une étrangère pour toi…La rue…Elle bouffe toutes les couleurs…Du délavé. 100 %. Comme ça, pas de jaloux…Et quand les fringues sont bouffées, c’est au tour de la peau. Moins tu te laves plus tu te protèges…Quant aux berges…C’est une autre paire de manche...Là, tout est encore plus compliqué. Les territoires…Déjà dans les rues…Je ne te raconte pas. Alors les berges…Et ton liseré !…ah ! ah ! ah ! C’est quoi déjà sa couleur? Tu n’as pas non plus la marque du parfum…Ça m’aiderait peut-être.

-      Tu n’es vraiment pas drôle…Mais bon sang, essaie de te souvenir...Je suis sûr que t’as entendu parler de quelque chose…Ça s’est passé à côté de chez toi. Ce n’est pas possible que tu n’aies rien entendu…C’est tout frais de ce matin. Fais un effort, s’il te plait. Aide-moi…C’est important.

(…)

                                     *****

(…)

Thomas craqua une allumette et ralluma la bougie maintenue entre deux pavés. Ce fut sous cette flamme, vacillant sous un vent léger, qu’ils découvrirent le visage d’une vielle femme aux cheveux cendrés, aux yeux verts et perçants, à la peau recouverte d’une suie étrange, comme si elle avait ramoné toutes les cheminées de Paris. Les trainées claires qui sillonnaient son visage étaient la trace de rides rebelles qui s’efforçaient de raconter la force d’un vécu sous l’amas de poussière qui tentait de les ensevelir.

Son corps était entièrement emmitouflé sous d’épaisses couvertures. Ses cheveux, tirés en arrière, étaient retenus par une ficelle dont les deux bouts retombaient sur ses épaules. Ils faisaient penser à la corde effilochée d’un vieux navire oubliée sur ce quai par un marin d’eau douce. Certaines mèches, récalcitrantes à la discipline qu’elle tentait d’imposer à sa chevelure, s’échappaient en ébouriffant par endroits cette élégance qu’elle s’évertuait d’entretenir en ces lieux peu propices à l’accueillir.

-      Voilà mes potes, La Pomme. Lui dit Thomas. Si tu peux les aider…C’est comme si tu m’aidais, moi.


                                      *****
(...)



Louis lui demandait de venir le rejoindre le lendemain au cimetière du Montparnasse. Il ne fut pas surpris du choix du lieu. Il était l’endroit où ils avaient pris l’habitude de se retrouver autour des tombes des écrivains préférés de Louis. Parfois ils dérogeaient à leur parcours balisé et sillonnaient au hasard les allées en quête de nouveaux auteurs.
(...)

                                                                     
                                       *****

(…)

-      Je suis souvent venu ici, sur ce banc, sans toi. Les pierres ont fini par me dire des choses…Et puis elles se sont tues parce que je n’ai pas voulu. J’entendais comme une voix intérieure qui me disait…au lieu d’admirer tous ces grands qui sont désormais des gisants, c’est le moment de prendre ta plume, toi qui es vivant. Tu as assez lu. Trop même. Il est temps. Grand temps…Mais comme tu sais, les mots tracés m’ont toujours tétanisé dès qu’ils venaient de moi…Jusqu’à ce jour où je me suis retrouvé seul, chez Jean. J’étais si désemparé que j’ai soudainement eu le sentiment que toutes les pierres du cimetière venaient à mon chevet. Chacune me parlait. Ce que j’entendais était confus, mais magique. Toutes ces voix me parlaient d’elle. Je me suis fait violence et j’ai sorti le cahier de cours que j’avais. J’ai dégoupillé un stylo…et j’ai tout fait sauter chez Jean. Je me suis mis à écrire comme un fou. Et plus j’écrivais, plus j’avais envie d’elle. Sous ma plume elle s’incarnait…Mes mots devenaient des notes de musique qui la faisaient danser. Et plus elle dansait, plus elle se dénudait. À moi seul elle s’offrait. Rien ne pouvait rompre ce charme. Pas même Jean venu à ma table. Il m’a parlé. Je ne lui ai pas répondu. J’ai continué à écrire. Il a fini par s’éloigner. Je ne sais pas comment je suis rentré chez moi. J’étais fou. J’ai traversé Paris dans la fournaise d’un corps que je n’arrivais plus à maitriser. J’aurais pu m’enfoncer seul dans ce désir insolite, m’engouffrer dans cette vacillante douceur extatique, mais j’avais besoin de sentir le réel de tout ça…Tu vois que ça peut aussi m’arriver !…J’ai pris avec moi mon argent de poche et je suis allé les voir…C’était le seul endroit où je pouvais la retrouver.

-      De qui tu parles ?

-      De ces femmes qui sont sur les trottoirs et qui te donnent ce que tu n’arrives pas à obtenir des autres…Elles font tout ce que tu veux…pour quelques billets. Certaines ont même pitié et te font le tarif étudiant. C’était ma façon de me tuer…Oui…Je suis lâche…Je n’ai pas osé me toucher, ni m’éliminer…Je ne voulais pas la profaner…


(…) 

                                                                    *****

(…)

Les gens s’agglutinaient dans cet espace réduit pour lire. Parmi eux une jeune femme tenait un enfant par la main. L’enfant ne s’intéressait pas à la lecture. Il la tirait par la main pour voir les images. La mère de Raymond s’approcha de l’enfant. Elle regarda longuement la femme qui s’en aperçut et rougit légèrement. L’enfant s’impatientait et soudainement des mots sortirent de la bouche de cette femme.

-      Attends Raymond. Laisse-moi finir de lire ou vas-y tout seul.

À cet instant l’enfant lui lâcha la main et se dirigea vers les images qu’il voulait voir. La mère de Raymond en profita.

-      Vous avez bien fait de lui rapporter son appareil photo.

-      Vous vous souvenez de moi ?

-      Je n’ai pas oublié le regard de Raymond sur vous ce jour-là.

-      Je ne voulais pas venir, mais c’est mon ami qui a insisté.

-      Où est-il votre ami ?

-      Il est resté dehors fumer.

-      C’est votre enfant ?

(…)
                                                            *****

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