mardi 28 juin 2016

Démocratie...si on avait su !!

« Qui laisse se perdre une liberté aujourd’hui ne la retrouvera pas demain » 
(Edwy Plenel)

En France, comme en Europe, lentement le fossé s’est creusé entre les peuples et les élites. Enfermés dans leurs bulles, aucun cri ne leur parvenait. Ils étaient à la barre. La tenait fermement. Bâbord. Tribord. Mauvais capitaines crochet. Les peuples pouvaient bien protester, seules les lois du marché, de la finance. Petits arrangements entre amis. D’un poste l’autre. Chaises musicales. Funeste partition pour les peuples. Un à un touchés. Sacrifices demandés…Requiem ! Et pendant ce temps…leurs paradis fiscaux. Vive les lanceurs d’alerte ! Quelques tsunamis sur leurs rivages. Fini les enfants sages.

La gauche française ne pouvait pas manger de ce pain-là ! Naïveté. Non. Elle allait résister, redonner…Faire au moins quelque chose…Non ! Elle aussi a fini par sombrer. Par devenir un valet. Et là, le monstre s’est réveillé, s’est mis à vociférer. La haine s’est engouffrée.

Sécurité
La magie des barbelés
Quand la gauche s’éteint
Le fascisme n’est pas loin 

Citoyens
Nous le sommes toujours
Nos valeurs
Simplement usurpées
Intactes
À l’intérieur

Nos rêves
Un peu ébranlés

Voter utile
Nous l’avons tous fait
Trahis
Nous l’avons tous été

Grisés par le pouvoir, nos dirigeants ont fini par oublier qu’ils n’étaient que locataires !

En France, le roi soleil s’est réincarné, là où on ne pouvait l’imaginer. 
Un seul regard en son miroir…Il était déjà trop tard.

Certitude que la mécanique du vote utile marchera toujours. 
Avant tout la raison. 
Au-delà, l’inconnu.

Et lorsqu’il y eut le frémissement d’un danger…Ils ont lâché les chiens. Surfé sur la vague populiste…jusqu’à l’écume.

Comme autrefois, une partie du peuple s’est laissée enivrer par les sirènes venimeuses…Oui, autrefois déjà là !

Non. Ici, c’est la terre d’accueil. Le pays des droits de l’homme. Pas de ça chez nous. Nous les vainqueurs. Déclamations, à masquer les années sombres de la collaboration, celles de la colonisation. À faire oublier que ce sol est devenu sécuritaire et que des camps de misère parquent tous ceux dont on ne veut pas voir la silhouette étrangère envahir nos rues.

Le drapeau de la nation…L’étendard derrière lequel tout peut se passer…en toute légitimité. Tous s’en emparent. Lui le premier. Lui, qui voit un à un s’éteindre ses rayons à force de nous prendre pour des cons.

Mimétisme déconcertant, inquiétant, pour tous ceux qui lui avaient remis les clés. Il ne parlait pas cette langue là, il y a à peine encore autrefois ! Les chiens aboient. Le sien tente de crier plus fort. Etat sécuritaire. Manifestations interdites. Une dame sort des lunettes de son sac. La police la matraque. Les jeunes manifestent pour leur avenir. La police frappe, frappe, frappe cette jeunesse qui ne veut rien d’autre que de vivre décemment, libre et en démocratie comme hier leurs parents.

Déchéance de la nationalité pour tous ceux. Non. Décidément, il y a quelque chose de pourri au royaume de…Non. Au pays des droits de l’homme…Ah !  

Qui aurait imaginé, il y a encore, à peine quelques années, que tout cela…réalité !  

Le fascisme en France ? En Europe ? Un vieil épouvantail auquel personne ne croit…Juste pour faire peur. Rien de plus. Même pas mal. Tout se rétablit avec le vote utile.

Et pourtant, qui croyait au Brexit !! Et la suite… ??

Alors imaginons demain où un matin l’Europe se réveillerait avec des dirigeants populistes ! Chacun se claquemurant derrière son rideau de fer. Mêmes idées vacuité en bandoulière. Que s’y passerait il ?

Ah ! Si j’avais su ! Mais tu as pourtant été prévenu !! Regarde le Brexit et ses suites ! Pas de programme, juste la haine…ensuite…la débâcle.

Quand il sera trop tard et que seul le souvenir de leur colère deviendra la honte de tous ceux qui ont eu la faiblesse de céder à la tentation machiavélique du populisme, qui tel un mauvais phénix, que diront-ils ? C’était un raccourci. Juste pour leur faire peur. Piètre catharsis !

Et de la force des leurres, il ne restera plus que les yeux pour pleurer ou les armes à prendre pour défendre les droits et les libertés. Accablantes réalités.

Imaginons une nouvelle fois, pour tous ceux qui n’y croient toujours pas, ce que donnerait en France l’extrême droite au pouvoir, alors que sous un gouvernement « dit de gauche », l’instauration d’un état policier en fausse légitimité s’installe à perdurer ! Imaginons une fraction de seconde l’arme nucléaire en de pareilles mains ! La presse, la culture…J’entends déjà les braises crépiter…L’autodafé de tous ceux qui dans la nostalgie ! Arrêt sur image. Arrêtons ce naufrage.

Non. Ce n’est pas un scénario catastrophe. Au siècle dernier, qui pouvait imaginer que tout cela allait conduire là où nous savons.

Si la France et l’Europe prennent ce chemin…demain il y aura d’autres wagons…

Ne laissons pas une nouvelle fois l’histoire nous entraîner dans la honte d’un temps où le cycle des mauvaises saisons deviendra inévitablement une terrifiante et douloureuse répétition. 

vendredi 17 juin 2016

De Anselm Kiefer à un carnet d'automne - Un rêve dans le corps de la matière - Suite à l'exposition "l'alchimie du livre" - BNF - 2015

On a tous des histoires à raconter. Il faut toujours oser. Œuvrer, accomplir à rendre possibles nos rêves. Et lorsqu’ils sont exaucés... Des pas vers un nouveau tracé.

Tout cela a commencé dans l’enceinte d’une exposition où un immense artiste, Anselm Kiefer, offrit au public sa bibliothèque intime…Son "alchimie du livre". Comme un héritage à tous ceux.

Livres géants qui accueillaient diverses matières dans lesquelles il avait semé des mots, ici et là. Un titre se détache « Nuit de cristal ». Lettres de craie blanche sur un corps noir. Un livre refermé sur lui-même. Posé dans un coin sur une étagère de fer.




Atmosphère tellurique, par endroits sans concession, d’un intérieur qui s’interroge en créant. 

Se souvenir. Transmettre. Pour que plus jamais ça.


D’un livre l’autre. Un rêve éveillé.

L’envie soudaine d’écrire. Non plus sur des pages aux dimensions familières, mais dans un carnet géant. Me glisser entre des feuilles qui ressembleraient à des draps sous lesquels le corps, sans savoir quelle sera la nature de son sommeil, s’y abandonnerait.

La raison a bien tenté de m’en dissuader. Et puis l’instinct... À finir par me guider, jusqu’à cette porte que j’ai poussée.

Dans le bas de la rue Monsieur le Prince, se trouve l’atelier d’un relieur, Gilles Barnett. J’ai souvent eu l’envie d’y entrer…Cette fois, j’avais une bonne raison.

Jamais pareille commande n’avait franchi la porte de cette demeure, vieille de plus d’un siècle. Et pourtant, la confection d’un carnet géant ne sembla nullement déconcerter celui à qui j’en fis la demande.

Tout était envisageable, "malgré tous les malgré". Désir soudain de relever le défi. Il fallait cependant bien y réfléchir, étudier méticuleusement la question de sa faisabilité.

Tout dépendait des matériaux. Le papier à dimension. Le maintien des pages, qu’il fallait coudre et solidement relier pour que les fondations soient robustes et indéfectibles face à pareil poids. Quant à la pièce de cuir, il n’en existait pas de la taille espérée en un seul morceau. Raccords ! Tout cela à redimensionner en s’approchant au plus près de la teneur de mes souhaits.

L’homme aux mains d’or a fini par trouver la solution. Il avait mordu à l’hameçon de ce rêve qui allait devenir sien.

Les dimensions furent convenues dans la mesure qu’offrait l’équilibre de cette démesure et la rationalité des matériaux disponibles. L’affaire fut conclue à hauteur de rêve. Le dos serait en cuir, la couverture cartonnée, recouverte d’un papier à définir et les coins renforcés par ce même cuir. Les pages intérieures auraient un teint ivoire et sur la tranche des lettres dorées seraient gravées à l’instar des livres anciens.    

Le maître d’œuvre me convia chez son fournisseur. Découverte des matières premières. Le choix d’un cuir grenat, d’un papier marbré aux couleurs siennes, ocres, rouges, orangées. Par endroits des taches brunes bleutées. Des brèches entre les mondes où des formes insolites révèlent avec parcimonie la trace de quelques mystères.

Je l’ai laissé œuvrer dans le respect du temps nécessaire à la gestation de son œuvre. Un écrin qui s’ouvrirait de lui-même le moment venu.

C’est ce qui arriva quelques temps plus tard.

Je fus contactée pour recevoir les prémices organiques d’une ossature où la vie avait pris forme. Cette matrice avait demandé tant d’énergie et de nuits de réflexion pour que ce corps gigantesque ne se brise pas dans les coutures d’un rêve, trahi par la fragilité de ses fondations en leur assemblage.

Les doutes et interrogations furent surmontés par la volonté de donner un corps pérenne à un rêve devenu contagieux.

Le chemin des possibles poussait les limites de l’être. J’appris que la couture des deux cents et quelques pages qui allaient constituer ce carnet géant, avait demandé deux semaines de travail non-stop !

La restauration de livres était pour le relieur un ouvrage familier. Il avait certes accompli quelques performances dans des dimensions hors normes, mais partir de rien pour un tracé monumental…des pas vers l’inconnu.

L’aiguille avait traversé une à une des pages et des pages pour les assembler. Parfois le sang avait coulé. Il était désormais enfoui à jamais dans la tissure et les replis les plus secrets de la colonne vertébrale de ce géant. La persévérance du relieur trouva le moyen de la consolider par de multiples astuces, qu’il eut l’élégance de me révéler, mais dont je lui laisse le secret.



Il restait à recouvrir ce corps de sa peau de cuir. Un nouveau temps où il me fallait me retirer, attendre et laisser l’artiste peaufiner son œuvre…Et puis, un après-midi, il m’a téléphoné. Cette fois était la bonne. Le carnet géant était achevé. Il pesait 30kg, mesurait 90 x 70 dans sa position fermée et 1m40 les ailes déployées.










  
Ecrire sur de telles pages ! J’étais soudainement au pied de l’Everest. Ma plume se perdait dans l’immensité d’une banquise ivoire et mes bras s’étiraient au-delà de leur limite pour atteindre les sommets grisants d’un simple haut de page.

L’échine courbée, mon encre esquissait les pas d’un nouveau-né, apprenant à faire fi de l’inconfort du corps.   



Il a suffi d’une première page écrite recto verso pour que j’entrevois ce carrefour des mondes où le visible, l’invisible jouent à cache-cache avec les matières et les sens. L’esprit, le corps, les chairs, le cuir, l’encre, le papier, l’effort, la persévérance, l’audace à transformer le visage de la sémantique et à faire de la quête d’un "absolu" un début de chemin vers tous les possibles.