Résumé :
« À l’aube de la nuit »
est une pièce en trois actes. Un face à face entre un vieil homme et une jeune
femme. Tous deux sont enfermés une nuit entière dans une bibliothèque. Pourquoi
sont-ils là ?
Louis s’est laissé volontairement
enfermer. Une troublante et incontrôlable sensation l’a retenu sur les lieux au
moment où il allait les quitter. Un acte irrationnel. Le souvenir lointain
d’une rencontre. Le secret enfoui d’un livre ancien dont les pages seraient salvatrices
et pour lui seul écrites. Ce livre semble être là, sur l’un de ces rayonnages. Mais
lequel ? Et ce livre existe-t-il vraiment ?
Mathilde se trouve là par hasard.
Elle s’est endormie après une nuit trop festive, tout du moins le croit-elle,
dans un recoin où personne ne s’est aperçu de sa présence au moment de la
fermeture. Louis la réveille. Elle a peur. S’interroge et cherche par n’importe
quel moyen à quitter ces lieux qui l’emprisonnent.
Mathilde, ce caillou vivant dans
la chaussure de Louis, comme il le dira, va finir par accepter son sort et
profiter de cette longue nuit pour oser enfin parler. Sera-t-elle
entendue ?
Il suffit parfois d’un lieu pour
que l’imaginaire tire ce fil qui gomme et altère les frontières. Celles qui
l’empêchent de devenir réalité.
Devenir réel le temps d’un rêve
éveillé. Dans ces moments, peu importe la nature et la véracité des souvenirs. Se
croire vivant devient l’essentiel.
Toute une nuit de confessions où
les souvenirs égrenés jonglent avec la réalité et l’illusion, à nous conduire,
à nous induire, à nous faire réfléchir.
Mathilde et Louis sauront-il
retrouver cette porte où la lumière du jour mène à la seule réalité ?
Pierres précieuses de l’humanité,
les livres conduisent indéniablement sur des chemins de lumière. Mais il faut
se méfier de ceux qui se griment à engendrer des croyances millénaires sorties
d’un seul imaginaire.
*****
Extraits :
ACTE I
Le décor :
Une
bibliothèque dont un grand nombre de livres sont anciens. Quelques tables de
travail, chacune éclairée par une lampe.
Une
échelle coulissante permettant l’accès aux livres les plus hauts placés.
Les
étagères recouvrent tous les murs jusqu’au plafond, une verrière en forme de voûte.
Deux
immenses rideaux de velours, couleur pourpre, dissimulent deux portes. L’une
est au fond de la scène. L’autre, latérale.
La scène :
Un
homme d’un certain âge sort de l’ombre. Il regarde autour de lui d’un air
méfiant, puis s’avance à pas de loup au centre de la scène. Après un court
instant d’hésitation, il se dirige vers l’échelle, y monte prestement et s’arrête
à mi-hauteur à la recherche de quelque chose.
Louis : Où peut-il bien être ? (Il poursuit son
exploration en silence. Une voix off envahit soudainement l’espace.) Je le savais. Je le sens. C’est là. Tout
près. Cette sensation de froid avant de quitter les lieux ! À me retenir. Impossible
de faire autrement. Ce froid. Un signe ? Un avertissement ? Il faut
que je sache…La vieille femme me l’avait prédit. Je le savais. J’ai toujours su.
Même si bien souvent, je ne voulais pas…Non. Ce n’était pas une chimère. Ce
froid qui m’a glacé les os, ne peut me trahir. Mais, ne perds pas ton temps. Tu
n’as que la nuit devant toi. Une toute petite nuit. (Courte pause)
Toute une vie de doute pour finalement être rassuré par ce froid ! La
vieille femme…Je ne l’ai donc pas rêvée. Elle était bien réelle. « Tu ne
sauras pas à quoi cela ressemble. Tu ne comprendras pas le sens de ce que tu
cherches, mais un jour lointain, tu sauras. »
L’homme s’arrête
brusquement. Il tend l’oreille, en penchant légèrement son corps en direction
du centre de la scène, tout en tenant fermement l’échelle d’une main. Son autre
main est posée sur son front, comme pour mieux scruter un horizon incertain. Son
regard balaie lentement l’espace scénique.
Louis : (À voix haute)
Il y a quelqu’un ?
N’ayant pas
d’écho, l’homme redescend de l’échelle, regarde un instant autour de lui, la
fait légèrement coulisser et s’apprête à y remonter, lorsqu’il aperçoit dans un
coin une silhouette, recroquevillée sur elle-même. Il s’en approche timidement.
Une jeune femme dort, assise à même le sol. Ses deux bras encerclent ses jambes
repliées contre sa poitrine. Sa tête repose sur ses genoux. Il la contemple
quelques instants. Fait deux trois pas autour d’elle. Hésite. Avance une main.
Se rétracte. Et dans un mouvement de panique, se précipite au centre de la
scène, avant de revenir lentement vers ce corps endormi. Il pousse un long
soupir.
Louis : Mademoiselle. (Silence) Mademoiselle. Que…que faites-vous
là ? (Silence. La jeune femme ne bouge pas. L’homme laisse échapper
un léger cri.)
Ah ! Pourquoi, ce caillou vivant dans ma chaussure ? Pourquoi cet
obstacle ? Elle me l’avait pourtant prédit. « Seul. Face à toi-même.
Un jour tu trouveras. » Qu’est-ce que cette intruse vient faire là ?
Mademoiselle. Réveillez-vous. Réveillez-vous.
Il effleure
l’un de ses bras du bout des doigts. La jeune femme bouge légèrement et relève lentement la tête.
Lorsqu’elle aperçoit cet homme face à elle, elle se lève d’un bond, s’éloigne
en poussant un cri et se réfugie derrière le rideau qui camoufle la porte
latérale.
Louis : N’ayez aucune crainte. C’est…un
malentendu. Vous…vous êtes égarée… Il est tard.
Mathilde : Qui…Qui êtes-vous ? (Lui
lança-t-elle, en sortant timidement la tête du rideau.)
Louis : Je m’appelle Louis.
Mathilde : Et…que faites-vous là ?
Louis : Et vous ?
La jeune
femme écarte peu à peu le rideau, comme si elle sortait d’un lit. Elle fait un
pas, puis s’arrête. Elle tourne la tête d’un côté, puis de l’autre, comme si
elle cherchait quelqu’un ou une issue.
Mathilde : Où…Où sont les autres ?
Louis : Il n’y a plus personne à cette
heure ! Tout le monde est parti. Il n’y a…que nous.
Mathilde : Comment ça ? Que nous ! (En disant
ses mots, elle s’approche de lui et lui fait face.)
Louis : Eh bien, oui. La bibliothèque a fermé ses
portes depuis bientôt une heure. Et…il ne reste que nous.
Mathilde : Que nous ! Mais…Qu’est-ce que
ça veut dire ?
Louis : Rien. Absolument rien…Sauf que nous
sommes enfermés.
Mathilde : Enfermés ?
Louis : Oui. Enfermés. Et le hasard a voulu
que nous nous trouvions dans la salle la plus éloignée de l’entrée principale. Vous
voyez bien que c’est l’endroit où ils conservent les livres rares et ces pièces-là
sont toujours un peu à l’écart. Alors…
Mathilde : Alors, quoi ? (Court
silence) Et…qu’y
a-t-il derrière cet autre rideau ?
Elle se
dirige vers celui situé au fond de la scène et le soulève.
Louis : Une porte. Une porte fermée. Toute
tentative est inutile. Les deux portes sont verrouillées.
Mathilde : Qu’est-ce que c’est que cette
histoire ? Je rêve !
Louis : Je commence peut-être à comprendre.
Mathilde : À comprendre ! À comprendre
quoi ? (Elle se rapproche de lui)
Louis : Le sort me joue un tour. Un bien drôle de
tour…pour ne pas dire un mauvais tour. (Il se met à rire)
Mathilde : Mais enfin, allez-vous m’expliquer
ce que cette comédie signifie ?
Il continue
de rire. Et sans lui répondre se dirige vers l’échelle. Il y remonte et
poursuit ses recherches. La jeune femme marche pensive de long en large, puis
va s’asseoir sur l’une des chaises. Elle se parle à elle-même.
Mathilde : J’étais pourtant décidée. J’ai
résisté. Ne plus lui céder. Mais…Elle a fini par avoir gain de cause. Et
maintenant que j’y suis ! Une force obscure me retient entre ces murs
hostiles. Est-ce parce que…cette fois, je ne lui ai rien trouvé ? Ça n’était jamais arrivé. Mais, il n’y avait
rien dans ces rayons qui m’inspirait. (Courte pause) Je ne devais plus. Je m’en étais fait le
serment. Je lui avais pourtant dit que je n’irais plus. Ils sont devenus trop
lourds pour moi. Bien trop lourd. (Courte pause) On s’est encore fâchées. Une scène
insupportable. Comme chaque fois que je lui tiens tête. (Courte pause)
J’ai fait la fête hier et j’ai dû me lever tôt ce matin…On dirait que je n’ai
déjà plus l’âge. Mais…m’endormir dans un lieu public ! Dans les avions,
les trains. Et encore, sur une longue distance. Mais, jamais comme ça ! Qu’est-ce
qui m’arrive ? (Silence) Cette situation est ridicule. Et…je ne
peux pas la laisser seule si longtemps sans nouvelle. Il faut que j’y
retourne. Même les mains vides. Il doit bien y avoir un moyen. (Elle se lève, se dirige vers Louis et s’arrête au pied de
l’échelle.) Vous devez
m’aider à sortir d’ici au plus vite. (Silence) Eh ! Vous. Là-haut. Vous
m’entendez ? C’est à vous que je parle.
Louis : Je ne fais que ça…Vous entendre.
Mais je ne peux rien pour vous. Vous, si jeune et déjà…fatiguée !
Pff !
Mathilde : Comment ça, rien faire ?
Louis : Écoutez, j’attends ce moment depuis
presque quarante ans. Une gamine s’endort et…Ah, non ! Vous ne croyez tout
de même pas que je vais tout arrêter, parce que vous aviez besoin d’un peu de
sommeil.
Mathilde : Vous…Vous n’allez pas me dire que
vous avez l’intention de passer la nuit, ici ?
Louis : Et en quoi cela vous regarde ?
Mathilde : Nous sommes deux. Vous ne pouvez
plus l’ignorer.
(...)
*****
ACTE II
Même décor.
Mathilde est assise sur une chaise. Elle fouille dans son sac et en sort une cigarette,
qu’elle allume. Louis est de nouveau perché sur son échelle. Les manches de sa
chemise sont retroussées.
Mathilde : Vous en voulez une ?
Louis : Non, merci. (Courte pause)
Vous savez, vous ne devriez pas. C’est dangereux pour les livres. Et puis…Il
pourrait y avoir des détecteurs de fumée. J’aimerais pouvoir terminer ce que
j’ai commencé sans qu’une armada de pompiers vienne écourter ma nuit. Elle est
déjà bien entamée.
Mathilde
joue avec son briquet. Louis effleure les tranches des livres.
Mathilde : Je commence à avoir faim. Fumer me
coupe l’appétit…Rien qu’une. C’est inoffensif. Et ça me calme…Tenez, je suis prête
à prendre le pari.
Louis : Quel pari ?
Mathilde : Qu’aucun pompier ne franchira ces portes.
(Silence)
Et…un peu de fumée, ça va donner un autre goût à tous ces livres qui sentent le
renfermé. Ils doivent en avoir marre de sentir la poussière. C’est le parfum
des morts. Vous ne trouvez pas ?
Sans lui
répondre, Louis descend de son échelle.
Mathilde : Comment pouvez-vous supporter
pareil silence ?
Louis : C’est inutile d’insister. Je l’ai perdu. C’est
certain. Il n’est plus là.
Mathilde : Mais de quoi s’agit-il, enfin ?
Louis : Dans mon histoire, il était
question d’un livre.
Mathilde : Ah non ! Vous n’allez pas recommencer !
Louis : Pourtant, je cherche toujours la
même chose. (Courte pause) Tout a commencé sur le bateau qui
m’emmenait au Mexique.
Mathilde : Au Mexique !
Louis : Oui. Au Mexique.
Mathilde : Mais quel rapport entre le Mexique
et…cette bibliothèque ? Et puis, on ne va plus au Mexique en bateau !
De quel siècle sortez-vous ?
(...)
*****