samedi 21 novembre 2015

La vieille dame et son déambulateur dans Paris n'a pas peur

17 novembre 2015. Ce soir-là, en rentrant chez moi, je suis arrivée comme à l’accoutumée au Luxembourg, la plaque tournante qui me conduit ou m’éloigne de mon domicile.

Le bus 27 était là, mais je n’ai pas eu envie de courir. J’avais tout mon temps. Ses portes étaient closes, mais il ne partait pas. C’est lorsque j’ai pu voir l’avant du véhicule que j’ai compris.

La petite dame, une vieille dame, d’un courage exceptionnel, que je croise régulièrement sur la ligne, aidée par le chauffeur, montait à son rythme dans le bus avec son inséparable déambulateur.

Le chauffeur asiatique l’aidait avec une gentillesse et une patience d’ange. Grâce à elle, j’ai pu prendre mon bus. J’ai tenu son déambulateur car elle voulait rester debout à l’avant. Je savais qu’elle n’avait que deux stations, puisqu’elle descend toujours à Feuillantines.

Nous avons un peu parlé. Elle s’est mise à plaisanter. Elle a toujours beaucoup d’humour. « Vous tenez mon déambulateur, il veut toujours se sauver. » Elle m’a fait rire. Je lui ai parlé de sa joie, de sa bonne humeur, de son courage. « Il faut bien que je sorte tous les jours pour parler aux gens. Il me faut certes du temps, un temps multiplié, mais on y arrive. » Me dit-elle tout en ajoutant qu’elle faisait souvent le trajet complet de la ligne ou celle du 21 qui converge, juste pour voir Paris. Je lui ai conseillé le 27 dont le trajet me semble bien plus beau car il longe la Seine. Elle m’a dit qu’elle s’en souviendrait.

Juste avant d’arriver à Feuillantines, elle m’a parlé de Neuilly où elle était un jour allée et qui semblait l’avoir impressionnée. Neuilly qu’elle avait trouvé grand, très grand, comme si elle était allée au bout du monde. Mais oui, elle y était allée, avec ce courage qui pousse les êtres vers des limites où leurs forces trouvent toujours le chemin de la vie.

Elle portait un béret de laine bleu clair. Son dos voûté la rapetissait, elle qui déjà n’était pas très grande. Mais son regard, son sourire avaient la puissance des cimes. En descendant du bus, elle dit au chauffeur qu’il y avait encore en ce monde des gens gentils. J’ai posé son déambulateur sur le trottoir dans le sens de la direction qu’elle prenait habituellement. Elle s’y est accrochée. Je lui ai demandé si ça allait. Elle m’a dit oui tout en s’éloignant lentement avec un sourire heureux. Je lui ai souhaité une bonne soirée et je suis remontée dans le bus.

Cette rencontre m’a apportée en ce soir du 17 novembre 2015 une joie extrême.

Il y a tant d’horreurs et de médiocrité en ce monde, que vivre la douceur d’un pareil instant où l’on ne sait rien de plus que quelques gestes et mots partagés, est comme un souffle qui vous redonne la vie.

La joie du vivant malgré les ans. La joie d’être là, de traverser, de contempler, de partager, avec cette pointe d’humour, à plaisanter comme une enfant taquine. Comme cette vieille dame, si conquérante de la vie dont elle triomphe chaque jour, m’a fait du bien. Un bien fou, dans cette période où la mort et la destruction de l’autre ont touché Paris. Ce Paris libre qu’incarne cette femme, qui malgré les circonstances et les événements tragiques du moment, avait la force naturelle d’affronter la vie pour traverser Paris, à ne rien changer à ses habitudes, en dépit de ces monstres qui ont tenté de semer la terreur et de vider les rues de la ville.

Contrairement à des gens bien plus valides, cette vieille dame, que j’aperçois certains soirs quand je rentre du travail, comme si elle aussi avait fini sa journée, fut une force lumineuse qui éclaira ma ville.

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