Ce soir-là 
Sur scène
Un poète 
Silencieux
Le public 
Nerveux
Le bruissement des corps impatients
S’échappait du bois des chaises
Parmi eux 
Un homme 
Immobile
Pas un cil
Lui seul entendait 
Tout
Ce que ce silence
Du sablier
Un à un les grains
Le poète frôlait les lisières
S’y attardant 
Sans jamais 
Espérant ainsi
Que tous ceux 
Ici
Finiraient par comprendre
N’étaient-ils pas venus entendre 
Trop lourd
Ce silence 
Alors
Le poète leva
Lentement
Une main 
La salle 
En apnée
Soupir funambule
Singulièrement suspendu 
Au bois des chaises vermoulu
La voix du poète
Vers ce monde 
Deux mots
Rayures bleues
Et puis 
De nouveau le silence
Au milieu de cet océan de regards pétrifiés
Le poète se mit à trembler 
Tant il disait
Des kyrielles de mots 
Sous la peau
Rayures bleues
L’homme
Ferma un instant les yeux
Un bruit assourdissant 
Celui des essieux 
Puis
Les cris étouffés de tous ceux
Qui
Enfermés dans ces wagons
Ses pas 
Vers la mémoire
Lumière glaciale de l’oubli
Le bleu 
Intemporalité d’un cri
Et sur l’étagère de cette mémoire
Dans ce camp 
Où autrefois la terrifiante histoire 
Le vêtement 
Là
Silencieux
Derrière la vitre protectrice
Pour que tous se souviennent
Et qu’aucune main mensongère 
N’efface de ce monde
Tout ce que l’histoire de ce monde
Alors que tous ces corps 
Tous ces corps
Tous ces corps
Tous ces corps 
En nous  
Brûlent encore
Du vêtement
L’homme ne voyait 
Que les rayures bleues
Ils furent des millions de rayures bleues
Ses souvenirs
En noir et blanc
Le bleu devenu noir
Le sang sombre de l’histoire
Mais la voix du poète
Immuablement
Pour que jamais
Plus jamais
Jamais plus