lundi 2 juin 2025

RESURRECTION, un film de BI GAN... Indéniablement... ma palme cannoise 2025

Le film de Bi Gan est une merveille cinématographique et poétique. Une traversée mémorielle et fragmentaire du XXème siècle où l’histoire de la Chine s’allie à celle du cinéma.

 

Cette traversée nous projette dans un monde où vivent des êtres immortels qui ont cessé de rêver. Mais certains se dissimulent pour continuer de pouvoir rêver. Ces « rebelles » sont appelés les révoleurs. Mais peut-être sommes-nous déjà à l’intérieur d’un rêve ?

 

Une femme se met en quête de l’un d’eux. Après une poursuite onirique époustouflante, qui évoque merveilleusement le cinéma expressionniste allemand, elle le trouve et lui offre une façon nouvelle de rêver. Elle lui fait découvrir le cinéma.

 

Au commencement était… le cinéma muet.

 

Elle rembobine une pellicule et lorsque celle-ci s’enflamme, le rêve s’éveille et le révoleur se réveille dans… la « vie réelle ». 

 

Chaque rêve sera forgé dans les chutes d’un film. Ce qui fut un jour jeté et non utilisé, comme un moment de vie non vécu, devient une chance de vie nouvelle. 

 

Et c’est avec cette matière illusoire que le rêve façonne la vie « réelle ». Cette mise au monde, qui reprend son cours en un point donné, nous sera contée dans ce qui deviendra un fragment du film et un épisode de vie rêvée du révoleur

 

Si la vie est un rêve, cet acte de rêver a pour effet de faire de nouveau s’écouler le temps qui s’était arrêté. À chaque épisode raconté, le temps s’écoule. Mais celui qui se réveille n’en a plus le souvenir. Il se réveille, alors qu’il est en plein rêve et affronte une nouvelle scène de vie « réelle ». Un peu comme si on ouvrait un livre au milieu d’une histoire. Ces fragments de « rêves de vies » font découvrir au révoleur la souffrance, la torture, le chaos, mais aussi l’amour.

 

Cette mise en abyme du réel et de l’illusion dans un jeu de miroirs déformants, fait de la vie vécue un simple rêve. Une vision inversée du réel qui semble renvoyer à ce Verbe énigmatique de Salomon « Les hommes dorment et lorsqu’ils meurent ils se réveillent. » Sans parler de cette vision ésotérique du monde que renvoient le Kybalion et l’univers hermétique d’Hermès Trismégiste… « Le Tout est esprit. L’univers est mental. » Laissant entendre que nous vivons et agissons à l’intérieur d’un esprit qui rêve dont nous serions la résultante ! D’un imaginaire, l’autre… en écho à ce magnifique voyage onirique que nous offre Bi Gan en utilisant le cinéma comme « véhicule ». 

 

De scène en scène, l’éveil de chaque protagoniste nous propulse dans un monde où les cinq sens seront mis en avant dans chacun des différents épisodes de vies racontées. L’un d’eux est une traversée en trompe-l’œil du cinéma wellesien. Une splendide scène aux miroirs dans laquelle le protagoniste, un pistolet à la main, tire sur celui qu’il veut abattre sans jamais atteindre son corps réel. Au cours de cette scène, une voix intérieure lui rappelle qu’il doit perdre l’ouïe pour traverser le miroir. 

 

Traverser est-ce mourir, continuer de rêver ou renaître à la vie réelle ? Une réalité dont on ne sait plus où elle se situe. 

 

Dans la séquence où l’odorat prédomine, un enfant que le révoleur croise sur son chemin et entraîne avec lui dans un jeu de tricherie, évoque une énigme que son père a écrit sur un billet de 5 yuans. « Qu’est-ce qui s’échappe et ne revient jamais ? » La réponse, lorsqu’elle est connue, renvoie à la banalité du réel et des simples chairs et non à la poésie énigmatique qu’elle évoquait. Ici, en plein rêve, on est au cœur de la réalité humaine.

 

Dans cet épisode, le besoin de rêver, comme celui de tricher, devient salvateur. S’éteindre vers un nouveau rêve. S’éteindre vers une nouvelle vie où le temps est décompté à chaque renaissance, à chaque épisode. Un temps où la pellicule brûle un peu plus à chaque souffle.

 

Si l’amour est une possible échappatoire, il faut cependant l’attraper et faire appel au sens du toucher pour y croire. Un impressionnant plan séquence, nimbé de rouge, nous conduit dans les dédales d’une ville portuaire où cette quête d’amour est imbibée de sang. 

 

Peu importe que cet amour ne soit pas vécu dans un contexte idéal, ni ne soit rassurant ; l’important est qu’il soit trouvé, reconnu et s’accomplisse, quel que soit sa durée et sa nature. Il est là, éphémère, mais tangible. 

 

Cette scène se déroule la soirée du réveillon de l’an 1999. Elle ferme un siècle et s’ouvre sur un nouveau millénaire. Le jour se lève sur une mer étale, un soleil lointain à l’horizon. Mais le temps de rêve du révoleur est écoulé.

 

Et lorsque cesse le rêve, des ombres lumineuses apparaissent comme des réminiscences qui refuseraient de s’éteindre. Elles cherchent un ultime refuge dans une salle de cinéma. Un espace où tout finit par devenir poussière dans l’obscurité d’un temps épuisé. 

 

Ces quelques impressions ne font que frôler ce voyage fantastique que nous offrent les 2h40 du film de Bi Gan. Une traversée vertigineuse, d’une beauté absolue et d’une grande poésie visuelle. 

 

« Toute personne qui tombe a des ailes » écrivait Ingeborg Bachmann. Dans le film de Bi Gan, toute personne qui rêve échappe à l’ennui de l’immortalité et découvre l’horreur du monde « réel » dans une traversée poétique où l’on perd la trace de l’idée même, que l’on se faisait de ce réel.

 

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jeudi 27 mars 2025

"JOURNAL DE CENDRES" Présenté sur le stand des ÉDITIONS UNICITÉ - SAMEDI 5 AVRIL À 14H - SALON INTERNATIONAL DE L'ÉDITION INDÉPENDANTE

Lorsque les mots manuscrits deviennent des pages publiées, c'est une très belle étape, mais lorsque ces mêmes mots circulent, leur meilleure place est entre les mains des lecteurs. Peu importe le nombre... Il suffit d'un seul pour nous rappeler que rien n'est fait en vain.
Je serai donc présente le SAMEDI 5 AVRIL À 14H au salon international de l'édition indépendante (Palais de la Femme) sur le stand des Editions unicité -François Mocaër- pour "Journal de cendres". Au plaisir de vous y rencontrer... Le hasard est une nouvelle page en devenir...




"JOURNAL DE CENDRES" - MORCEAU CHOISI PAR L'AUTEUR PIERRE KOBEL POUR SON SITE

La solidarité entre auteurs est un bien précieux qui rend visible ce fil de lumière intérieure qui relie les êtres. C'est tellement rare...

Grâce à Maggy de Coster, qui m'a présenté l'éditeur Editions unicité -François Mocaër- , l'un de mes recueils de poésie "Le jardin des césures" et "Journal de cendres" ont pu être publiés.

Au-delà de la publication, la circulation des mots ou des vers est ce qui rend vivant un travail...

Hier, les mots d'Amélie Nothomb...

Aujourd'hui, je dis un très grand merci à l'auteur Pierre Kobel d'avoir été un passeur de mots, "hors-champ" des ses propres pages.

https://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2025/02/un-jour-un-texte-michèle-gautard-je-ne-suis-pas.html


samedi 22 mars 2025

GOLEM - TEXTE ET MISE EN SCÈNE, AMOS GITAÏ (au théâtre de la Colline)


Lever de rideau. Les lumières de la salle restent allumées. Sur scène, une harpe, une voix, un chant, une femme vêtue de noir, une langue que l’on croyait éteinte.

   

La soliste quitte la scène. Baisser de rideau. Un écran glisse lentement. Un voile sépare les mondes. Le public est plongé dans l’obscurité. Des images en noir et blanc enduisent ce voile d’une indicible noirceur. Autrefois, les pogroms. 

 

Derrière cet écran, on entrevoit des silhouettes en mouvement. Elles sont sur scène. Superposition des temps, des espaces et des arts. Le théâtre. Le cinéma. Une chorégraphie des douleurs. Nous sommes sur un seuil. Si fragiles, les lisières. 

 

Lever de rideau. « L’écran-tulle » disparait, emportant avec lui les images mémorielles. Les silhouettes entrevues deviennent des êtres de chair. Pas encore des personnages ; mais des présences. Des hommes et des femmes. Des conteurs. 

 

Ils sont là pour nous raconter une histoire, celle du Golem. Cette créature d’argile issue des textes kabbalistiques, façonnée par l’imaginaire pour protéger les communautés juives, autrefois persécutées. Un fantôme protecteur. Un rempart d’argile.

 

Une pluie de vêtements s’abat soudainement sur toutes ces présences. Ces monticules de tissus vont devenir des costumes, un décor mouvant, que chacun va porter pour se protéger, se dissimuler ou devenir un autre. 

 

Subtile et discrète mise en scène des corps. Pendant que les uns fouillent dans cet amas de vêtements, se griment, se transforment et se préparent à devenir un personnage, les autres jouent une scène que le conteur a amorcée. 

 

L’histoire du Golem se raconte dans un mouvement perpétuel des êtres, des voix, des chants yiddishs, des langues vivantes ou mortes ; le tout ponctué d’une partition musicale. Sur scène, les musiciens jouent leur propre rôle.

 

Les pages du grand livre dans lesquelles le Golem s’est incarné se métamorphosent au fil du récit. Les conteurs finissent par devenir de vrais personnages et les scènes jouées semblent sorties des pages arrachées de ce livre. Sur l’une d’elle, le Golem apparaît, façonné sous nos yeux par les mains du rabbin. La terre fait corps avec l’esprit, la souffrance avec l’espérance. Croire pour survivre. 

 

Le Golem devient une « réalité imaginaire » dans le cauchemar du réel humain. Rempart protecteur, il ne dit rien. Naître et obéir. Premiers pas de l’être d’argile dans le monde des hommes. 

 

À mi-hauteur, un autre décor est suspendu. Un arbre, des façades de maisons, sous lesquels les corps vont s’enduire de cette même matière que celle qui a façonné le Golem. 

 

Dans cet enchevêtrement, des panneaux glissent sur la scène. Morceaux de murs peints ou fragments de toiles inachevées ? Les corps d’argile fusionnent avec ce nouveau décor qui soudainement s’enflamme. La scène est recouverte de flammes éparses, projetées sur ces panneaux et sur ces corps d’argile qui nous murmurent… Autrefois, les pogroms. 

 

Lorsque ce brasier s’éteint, le temps redevient autre. Les personnages se regroupent et se retrouvent assis sur le tas de vêtements qu’ils ont rassemblés. Le Golem est là, lui aussi. 

 

Et à tour de rôle, les personnages/conteurs/acteurs/êtres humains, viennent sur le devant de la scène. Chacun se présente avec son vrai nom et raconte brièvement un fragment de son histoire en évoquant parfois ses multiples origines. À cet instant, ils ne sont plus personnages ou conteurs, mais « eux-mêmes ». Un acteur, face à son public qui ne raconte plus l’histoire du Golem, mais sa propre histoire. 

 

Lorsque l’on quitte le théâtre, l’aventure humaine continue. On emporte avec nous toutes ces présences, réelles ou fictives, et cette terre argileuse où le Golem a laissé en nous un grand moment de théâtre. 

 

Le Golem est désormais en chacun. Une majorité ne parle pas Yiddish, mais cette langue devient soudainement la nôtre ; nous renvoyant aux mots d’Isaac Bashevis Singer « (…) j’aime les histoires de fantômes, et rien ne va mieux aux fantômes qu’une langue qui se meurt. Plus la langue est morte, plus le fantôme est vivant. »

 

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vendredi 21 février 2025

"THE BRUTALIST", UN FILM DE BRADY CORBET

Une entrée dans l'obscurité. Des pas illusoires vers la lumière. La création comme planche de salut. L'est-elle vraiment ? Des plans serrés. Une lumière qui laisse toute sa part à l'ombre. Un corps à corps avec le réel et des temporalités. Un montage où les temps se dissolvent dans l'instant et la matière, dans la souffrance constante des chairs et du souvenir.

 

Le protagoniste, interprété par le génial Adrien Brody, est revenu de l'enfer des camps dans une quête d'éternité créative, comme unique moyen de survie. Où est-ce que "tout cela" conduit ?

 

Quand un jeune cinéaste américain, en l'occurrence Brady Corbet, nous montre le revers de la médaille du "rêve américain" dans un temps d'après-guerre, revisité dans la matière brute d'une œuvre monumentale qui se construit sous nos yeux, nous avons l'impression que ce qui s'éteignait sur ce territoire reprend vie, là où on ne l'attendait pas. 

 

L'art, comme une trace mémorielle, qui ne sera pas perçue comme telle dans un monde où les rêves se fabriquent à partir des apparences et de "la planche à billet vert". 

 

Il y a tant d'autres choses à dire sur cette fresque vertigineuse. Le montage partition (image et son), les plans au couteau ou comme une valse infinie ; la façon de filmer au plus près, parfois à distance, comme un contrechamp qui donnerait l'illusion de quelques ouvertures... Oui, il y a tant à dire…

 

Ça commence dès le générique début à l'horizontal, qui bien sûr « n’ouvre pas » le film. Quant au générique final, il devient une spirale infernale qui laisse la place à la musique, comme un vieux disque qui tournerait à l'infini. Dans le vide ? Pour la mémoire ? 

 

Mais entre le début et la fin... Il y a 3h35 qui passent à une vitesse... Presque trop court. La seule longueur (et quel dommage) l'entracte de 15'. 

 

Une fresque à voir absolument. Pour l'amour de l'art. Pour la force salvatrice de la mémoire. Une mémoire qui nous rappelle que l'idée de « liberté » n'est pas là où on nous l’avait « dessinée ». On avait beau le savoir. Il est important de le rappeler en ces temps.

 

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« (…) dès que l’on commence à écrire, tout devient fiction. » (Brady Corbet - Extrait de son interview - Cahiers du Cinéma, février 2025)

 

À la lecture de cette phrase, j’entends soudainement d’autres mots. Ils surgissent en écho, comme une interrogation, l’extension d’un imaginaire… « Dès que l’on commence à être, tout devient-il fiction ? » Notre mise au monde serait-elle une fiction ? Un mauvais rêve ? ... Jusqu’à cet instant où la douleur… insoutenable. 

 

Insoutenable le réel. Avoir la force de l’imaginaire à incarner de nouveaux mondes. L’imagination ne fait-elle pas corps avec le réel ? Ne provient-elle pas de l’esprit ?  Cette part invisible de notre réalité ?

 

D’où viennent ces choses que nous inventons ? Mémoires oubliées ? Endormies ? Souvenirs éteints de temps millénaires ? 

 

S’éveillent des fragments de l’histoire de l’humanité en nos chairs vivantes. 

Nous ne les avons pourtant pas vécus, tous ces souvenirs ; et pourtant, ils sont là, en nous.

 

Insondable besoin d’un ailleurs. Transcender le réel, comme une nécessité. 

 

Mais pourquoi ce réel, qui nous accueille, n’est-il pas à la hauteur de nos espérances ? Que lui manque-t-il pour que nous fassions appel à notre imaginaire ? Et quelle est la nature de cette force qui nous pousse à la création pour tenter d’exister ? Survivre. Vivre.

 

Être mis au monde et s’évaporer. 

 

L’art pour tenter de vivre. L’art pour oublier le pire du réel. 

 

Demeure la page blanche qui accueille. Demeure la page blanche qui efface. 

 

Que s’est-il passé entre le premier cri et le dernier souffle ? 

 

Générique début. Générique fin. 

Il était une fois, la vie. Et sans en savoir plus, clap de fin.

 

 

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mercredi 19 février 2025

SOIRÉE LECTURES ET DEDICACES - "JOURNAL DE CENDRES" LE 27. 2. 2025 à19h30 À LA LIBRAIRIE - CAFÉ : L'OURS ET LA VIEILLE GRILLE (PARIS - 75005)

 

Je serai ravie de vous retrouver, lors de cette soirée, au cours de laquelle trois auteurs des Éditions Unicité - François Mocaër, présenteront leurs livres. 

Pour ma part, j'aurai le plaisir d'évoquer "Journal de cendres" dont quelques extraits seront lus par la romancière, poète et artiste peintre, Colette Klein.

Venez nombreux. Les auteurs ont besoin de votre belle présence.🌹





mercredi 11 décembre 2024

LA LETTRE D'AMÉLIE NOTHOMB, APRÈS AVOIR LU "JOURNAL DE CENDRES"

 



Mi-octobre, je recevais une lettre... Je ne comprenais pas comment son auteur avait eu mon livre... En appelant une amie dont le nom était mentionné (mon seul indice), le mystère fut résolu. Cette amie avait envoyé mon livre à Amélie Nothomb, sans la connaître. 48h après, je recevais sa lettre !! Elle figure désormais en bandeau, (avec l'accord de l'auteur), aussitôt donné à mon éditeur François Mocaër - Éditions Unicité. 

dimanche 8 décembre 2024

TOTALITARISMES ET TOUS LES "ISMES"

« Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles ». Ces mots de Max Frisch, hérités du passé. 

 

Aujourd’hui, le « pas de vagues » étouffe les gorges silencieuses. Le « pas de vagues » est porteur de cette lame de fond qui finit un jour par tout emporter sans distinction. Les silencieux, comme les courageux. 

 

Cette lame de fond est la grande faucheuse de l’histoire humaine, qui pour se sauver, clame le mot « liberté » tel un bouclier. Mais aux premiers cris des tribuns, ces mêmes humains sont enclins à la sacrifier.

 

Résurgence des passés, le tribun crie comme un nouveau-né ; prêt à s’emparer du pouvoir dans lequel il projette sa silhouette sculptée dans le marbre de la grande histoire. 

 

Le peuple semble avoir oublié le passé. Le peuple lui sert de marchepied. Et lorsqu’il aura triomphé, le faussaire n’hésitera pas à les bâillonner. 

 

Une nouvelle fois, le peuple a voté. Une nouvelle fois, il est berné.  

 

La porte est grande ouverte… s’infiltrent tous les « ismes » et tous les « istes ». 

 

Vaincre le totalitarisme. Légitime combat. Mais le plus souvent pour y parvenir, les tribuns populistes emploient les mêmes méthodes que celles qu’ils dénoncent du camp adverse. 

 

Radicalité des extrêmes. Opacité des alliances. Pour faire passer leurs idées ou toutes celles qu’ils n’ont pas, ils font monter les enchères du clientélisme ; quitte à devenir les complices des pires « istes ». 

 

Que sont devenues la République, l’école laïque, la liberté d’expression, l’universalité des esprits qui laissaient la place à tous dans le grand amphi de la cité partagée ?

 

Autrefois, on se battait pour les minorités. Les mêmes droits pour tous. 

Aujourd’hui, commence l’ère tribale, qui au nom des libertés, tombe dans les pires excès. 

 

Autrefois, la libre création. Aujourd’hui, régression. 

 

Censure. Autocensure. On est pointé du doigt, dès que l’on s’insurge des abus d’un groupe, d’une minorité, de ceux d’une communauté. Amalgames assurés. L’ère victimaire semble triompher. 

 

Pour les calmer, de singuliers dédommagements leurs sont donnés et deviennent pour tous des critères prioritaires d’éligibilité : cases cochées, quotas assurés. Autrefois, le contenu.

 

Danger de mort. Les cibles sont désignées. Les plus courageux, ceux qui ont osé parler, analyser, alerter, vivent désormais sous protection policière. Pas la moindre solidarité d’un élan populaire pour les sortir de cette souricière. 

 

Les enchères du clientélisme deviennent le seul programme des politiques, qui à l’instar des valeurs boursières, ont un même objectif. Le pouvoir… à n’importe quel prix.

 

Et l’histoire devient des pages que l’on déchire sous le joug d’un entrisme ; le confluent de nombreux « istes ».

 

Et les heures les plus sombres reviennent à la surface du monde, de notre monde. 

 

Autrefois, les idées. Autrefois, les débats.

Aujourd’hui, idéologies meurtrières, populismes sans frontière. 

 

Les uns vocifèrent l’ère révolutionnaire, les autres, dans l’ombre de leur vernis, préparent l’ère réactionnaire.

 

Autrefois, la terreur. Aujourd’hui, la terreur… Catharsis des temps nouveaux pour justifier tous les « ismes », déclinés à l’infini. 

 

Autrefois, les pantoufles.

Aujourd’hui, « le pas de vagues ». 

 

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dimanche 29 septembre 2024

MEGALOPOLIS, UN FILM DE FRANCIS FORD COPPOLA

« Megalopolis » est un choc cinématographique. Une rupture avec le connu. Un labyrinthe dans lequel on ne peut se perdre car… comme Alice a suivi le lapin blanc, il nous suffit de suivre le fil de cette narration, aux multiples fragments et ramifications, qui nous transporte dans un temps non linéaire. 

 

Le montage est une partition fragmentée qui raccorde les temps de diverses époques. Vertigineuse fusion, une à une elles se répondent en miroir. Éclats de verre brisé… Depuis l’Antiquité, il semblerait qu’il n’y ait toujours rien de nouveau sous le soleil. 

 

L’histoire est assez claire. L’être humain a beau changer de décor et d’époque, il reproduit sempiternellement la même histoire décadente de lui-même, se pose les mêmes questions, commet les mêmes erreurs et retombe dans les mêmes pièges. 

 

Malgré son évolution, l’homme n’a pas fait de grands pas en lui-même, hormis celui qui l’a conduit à l’art et à la création. Ce pas fut un premier saut dans l’inconnu.  

 

« Megalopolis » nous offre un magistral éventail de toutes ces traversées créatives que furent, entre autres, les arts, la littérature, le théâtre et le cinéma. Si toutes ces explorations n’ont pas répondu au mystère de l’être, elles ont peu à peu transformé le monde et arrêté le temps en figeant la matière ; à l’instar du protagoniste, César Catilina, artiste de génie, interprété par Adam Driver.  

 

Pour Coppola, « le premier homme qui a peint des animaux dans une grotte a arrêté le temps ».

L’art est aussi pour lui un moyen d’explorer un peu plus profondément la conscience humaine en dépassant ses propres limites. « Nous sommes illimités, il n’est rien que notre créativité ne puisse accomplir »

 

Ce film est un hymne à la création, à la liberté ; à y percevoir un encouragement à la « sédition créative », afin que la création redevienne un espace sans limite, émancipée des règles et des dogmes qui l’enferment et la formatent. Dépasser, transcender les mondes, s’émanciper du connu et de tout ce qui rassure… Peut-être la voie vers un avenir meilleur ?

 

Coppola dira lors d’une interview qu’« Hollywood est devenu une chaîne de fast-food (…) L’art est tout l’inverse. » 

 

C’est dans cette quête créative que le cinéaste entraîne son personnage, César Catilina. L’homme aux multiples visages, porté par ses addictions, hanté par ses fantômes et son désir de transformer le monde contre vents et marées.

 

Magnifique moment cinématographique que celui où César traverse cette « frontière » qui sépare les morts des vivants pour rejoindre sa femme défunte et tresse ses cheveux dans le vide, après lui avoir offert de « vraies » fleurs. Sur le chemin qui le conduit à ces retrouvailles particulières, un fleuriste est magiquement apparu comme un rêve dans le rêve.  

 

S’échapper du réel en faisant de son esprit la scène onirique d’un temps révolu et de la création une passerelle vers l’immortalité… Un écho à cette terrible réalité qui a bouleversé la vie du cinéaste. Le film est dédié à sa femme, récemment décédée.

 

La magie du cinéma comme une catharsis où les fantômes du réel deviennent des corps pelliculaires. 

 

« Megapolis » est aussi une ode à l’amour. Quand l’égotique nature humaine se noie dans la luxure, les jeux, l’illusion du pouvoir et de l’argent, l’authenticité d’un cœur peut tout changer et redonner son centre de gravité à l’humain. 

 

La scène où Julia Cicero, un bouquet à la main, rejoint César Catilina sur les poutres métalliques d’un immeuble, suspendues dans le vide, est d’une incroyable beauté. Elle donne une troublante impression d’être le contrechamp « à retardement » de la scène de la défunte épouse ; faisant basculer le film dans un autre temps. 

 

Mais rien n’est simple pour que les temps soient « raccordés ». Julia Cicero, interprétée par Nathalie Emmanuel, est très attachée à son père, le maire conservateur, ennemi de César, interprété par Giancarlo Esposito ; tout en étant amoureuse de l’insaisissable artiste qui veut transformer la ville de son père.

 

« Megalopolis » nous conduit dans le labyrinthe de l’âme humaine où l’on perd la trace du réel et de l’illusion. Ces mondes confondus sont-ils des réalités ? Des élucubrations de l’imaginaire ? Et le temps ? Une invention de l’esprit humain, comme ces dieux dont il a besoin ? « Dieu a-t-il créé les humains ou ceux-ci l’ont-ils créé dans leur esprit » s’interroge à plusieurs reprises César Catilina. 

 

À Megalopolis le temps s’est effectivement arrêté. L’histoire se regarde du haut de ce promontoire où l’imaginaire s’empare du réel, jusqu’à ce point de non-retour où il franchit le seuil de l’inconnu. Vers un avenir meilleur ?

 

Ce film, qui parle du temps, le fige en nos mémoires de façon parcellaire, à nous donner l’envie de le rembobiner et de revoir la subtile partition de ce montage dont le rythme prestissimo nous entraine dans le tourbillon de l’infinie profondeur de l’être.

 

S’émanciper du connu, des codes et des règles ; c’est ce qu’a fait Francis Ford Coppola en réalisant ce chef-d’œuvre dont aucun système hollywoodien ne voulait. Un saut dans le vide. Une mise en danger financière et créative. L’audace d’un pas libre, intemporel… comme un éveil.

 

 

 

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mardi 10 septembre 2024

"Journal de cendres"... Une publication... des pas vers l'inconnu !

Pour certains, ce n'est jamais facile de "s'offrir au monde"... Alors que pour d'autres... C'est la "routine". Pourquoi écrire dit la conscience silencieuse ? Imparable force persuasive... C'est publié... Nul autre choix que d'y aller. Alors voici quelques pages. Le reste... désormais disponible sur le site de l'éditeur : 

http://www.editions-unicite.fr/auteurs/GAUTARD-Michele/journal-de-cendres/index.php









dimanche 1 septembre 2024

PUBLICATION DE "JOURNAL DE CENDRES " vers la mi-septembre 2024


En attendant… quelques photos et la note de l’éditeur 

La publication d'une oeuvre est cet instant de rupture où les mots s'incarnent vers un ailleurs.


Sur ces pages-là... Le stylo définitivement posé. 


Sarcophage des mondes intérieurs

Qu’est-ce qu’un journal ?

 

Papillon de la nuit
Le jour n'emporte pas toujours…

 

 







dimanche 10 mars 2024

"LES CARNETS DE SIEGFRIED", UN FILM DE TERENCE DAVIES

Carnet de vie. Carnet de mort. Le corps traverse l’histoire. Le corps victime de l’histoire. Le corps se révolte. Le corps désire. Les temps ne sont pas propices. 

 

Ces carnets ont pour toile de fond la première guerre mondiale et le spectre de la seconde. Cette grande histoire collective que quelques-uns décident pour l’ensemble… Mutilation des destins. Désobéir, refuser de cautionner cette boucherie. Ces carnets, d’une histoire individuelle, sont des pages ouvertes sur toutes ces questions. Des pages sur lesquelles le traumatisme mortifère de la guerre donne singulièrement vie à la poésie. 

 

« Les carnets de Siegfried » sont ceux d’un poète britannique oublié, Siegfried Sassoon, devenu objecteur de conscience, après être revenu du front lors de la guerre de 1914 ; révolté et traumatisé par tous ces corps emportés, le plus souvent dans la fleur de l’âge. 

 

Corps sacrifiés avant d’avoir pu vivre le temps de l’amour et des plaisirs. Quant aux survivants, ils ne sont que chairs brisées, mutilées, esprits torturés. Les morts vivants de temps qui ne sont plus les leurs. La guerre annexe les chairs et meurtrit l’âme. 

 

Chair à canon. Chair regorgeant de désirs. La partition de cette survie s’inscrit sur les pages du carnet du poète où les vers et le sexe deviennent des lucarnes lumineuses, parfois elles aussi douloureuses. 

 

Le cinéaste Terence Davies, alterne les temps et les époques et parfois les superpose dans la grâce d’un montage pelliculaire où des images en noir et blanc, évoquant le front, répondent magnifiquement aux images en couleur, incarnant les guerres intérieures de ce jeune poète.

 

Jugé par sa hiérarchie, protégé par les siens, lui évitant la cour martiale, il sera un temps envoyé en hôpital psychiatrique. Il y rencontrera un médecin à l’écoute, par moments étrangement miroir apaisant. Il y fera surtout la rencontre du jeune poète Wilfred Owen dont il tombera amoureux. 

 

Les chairs aiment la vie, le sexe et la poésie, mais la guerre sépare les corps et ne laisse pas le temps à l’amour d’être pleinement vécu. Demeurent la douleur et les vers. 

 

À travers l’histoire de ce poète oublié, cet ultime film de Terence Davies, mort à l’automne 2023, nous offre la résurrection d’un passé, tel un héritage testamentaire. 

 

Bien au-delà du miroir contemporain que nous tend Terence Davies, cet ultime film est une magnifique partition cinématographique. Une création mémorielle qui redonne à la poésie, au désir et à l’amour, tout ce que l’horreur des guerres ôte à l’humain. 


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samedi 27 janvier 2024

POÉSIE, J'ÉCRIS TON NOM

Poésie, j’écris ton nom

Car je lis partout

 

Propriété privée

 

Poésie, j’écris ton nom

Car dans le silence des espaces blancs

S’échappent des cris d’autres temps

 

Certains t’étiquettent sur leurs manchettes

Et machette à la main

S’autoproclament

Cerbères de tes vers

 

Zone occupée

Temps indéterminé

 

Excommuniés

Tous ceux qui ne sont pas 

 

Et pourtant

De la prose aux mains sales

Les vers en ont vu d’autres

 

Poésie, j’écris ton nom

Car à l’instar du soleil

Tu éclaires sans distinction

Le palais des merveilles

Le caniveau recouvert d’excréments

 

Poésie, j’écris ton nom

Car des tribunaux d’anciens temps 

Sont érigés en ce nom

 

Quand le mirage de l’entre-soi 

Altère les plus nobles causes

L’ère tribale devient cannibale

 

Mais tout cela

Oui, tout cela

Ce n’est plus toi

 

Tout cela

Oui, tout cela

Ne te ressemble pas

vendredi 26 janvier 2024

"THE ZONE OF INTEREST", UN FILM DE JONATHAN GLAZER

Le film de Jonathan Glazer « The Zone of interest » (La Zone d’intérêt) est un choc cinématographique. Ce chef-d’œuvre, d’une puissance « sourde », nous propulse dans le périmètre d’un espace clos où le hors-champ deviendra « visible » grâce à la bande son.  

 

Là où Hannah Arendt parle de « banalité du mal », Jonathan Glazer, lui, filme la banalité d’un quotidien dans la matrice et les viscères de ce même mal.

 

Le quatrième long-métrage de ce cinéaste, bien trop rare, nous conduit de l’autre côté du mur du camp d’Auschwitz, dans l’enceinte quotidienne de la demeure où vit Rudolph Höss avec sa famille.

 

Tout ce qui se passe de l’autre côté de ce mur gris, réhaussé de fils barbelés, restera hors-champ. Ne seront visibles à l’image que le faîte des baraquements jalonnant ce mur et une cheminée. La caméra restera d’un seul côté du mur, celui où le quotidien de la famille Höss va se dérouler dans l’indifférence de l’horreur qui l’entoure. Seule la fumée viendra par intermittence « troubler » la quiétude des lieux. 

 

Dès le générique début nous pénétrons dans une zone grise. Lorsque s’inscrit le titre du film, les lettres qui le composent sont peu à peu absorbées par un fond gris, jusqu’à leur effacement total ; nous laissant face à cette couleur dont l’unique présence envahit l’écran un temps qui semble infini.

 

Césure. Le premier plan s’ouvre sur l’univers bucolique de la famille Höss qui se prélasse au bord de l’eau. La bande son est minimale, laissant la pleine place à une image silencieuse. 

 

Chaque plan va peu à peu nous renvoyer l’atmosphère d’une vie programmée dans la méticulosité d’un quotidien où Hedwig, la femme de Höss, interprétée par Sandra Hüller, va régner sur « son Éden », comme elle qualifiera leur demeure, pendant que son époux règne en maître bourreau sur le camp d’Auschwitz.

 

L’image a beau ne rien nous montrer de ce camp, le diable est dans les détails. Et certains renvoient symboliquement à tout ce qui se passe de l’autre côté du mur. Il y a notamment cette piscine, qui fait la fierté du couple, et au-dessus de laquelle retombe, comme une fleur fanée, une pomme de douche. 

 

Un soir, lorsque toute la famille est couchée, le personnage de Rudolf Höss, interprété par Christian Friedel, déambule dans le jardin et referme d’un geste machinal le robinet de cette douche que quelqu’un n’a pas bien refermé. Un peu comme si rien, absolument rien, ne devait perturber l’ordre des lieux, ni troubler le sommeil de cette famille.

 

Cette piscine est aussi un marqueur temporel des saisons. L’été finit par céder sa place au plein hiver. L’eau du bassin est gelée. Les enfants jouent avec la neige. L’un d’eux évoque sa bravoure d’avoir affronté ce froid pour le simple plaisir de jouer avec cette neige qu’il aime tant. Si rien d’autre n’est dit, tout est dit par cette image qui parle d’elle-même. D’instinct, cette neige, ce froid, la glace, nous propulsent implicitement de l’autre côté du mur.

 

Si le jour, Hedwig Höss règne en maîtresse de maison sur cette demeure, la nuit, le maître et bourreau des lieux, en devient l’unique protecteur.

 

Une scène en souligne le mécanisme pathologique, lorsqu’à la nuit tombée Höss éteint une à une les lumières de chaque pièce, alors que tous dorment. Tout le temps que va durer cette scène, la caméra restera à l’extérieur, filmant en plan fixe la façade de cette demeure dont la vision intérieure n’est visible que par les ouvertures que laisse entrevoir chaque vitre éclairée. Dans le périmètre de ce plan fixe, un seul mouvement, lent, rituélique, celui de Höss se déplaçant d’une pièce à l’autre, jusqu’à cette montée d’escalier le conduisant à sa chambre, où il finira par éteindre une ultime lumière… Fondu au noir sur la nuit sombre d’Auschwitz.

 

Une autre nuit, on le suivra dans un mouvement névrotique similaire, cette fois à l’intérieur de la maison où il refermera méticuleusement un à un tous les verrous de chacune des portes menant vers l’extérieur ; inversant ainsi dans son propre espace, la notion de menace et de danger.

 

Ce film nous conduit au cœur d’un univers totalement déshumanisé, auquel la femme de Höss non seulement contribue, mais va s’accrocher ; au point de ne pas suivre son mari le temps de sa mutation provisoire. Ce seul temps, sera celui où la caméra suivra Höss dans un espace extérieur à sa demeure familiale. 

 

Cette atmosphère terrifiante de déshumanisation du couple Höss est un mal qui semble avoir contaminé l’ensemble de la famille. Les dents d’or qu’ausculte l’aîné avec une lampe de poche, la nuit dans son lit, est une scène aussi glaçante et déconcertante que cette autre scène où l’un de ses jeunes frères, dérangé dans son jeu par ce qu’il entend à l’extérieur, s’approche de la fenêtre de sa chambre et finit par marmoner mécaniquement sa propre sentence sur ce que lui renvoient en son imaginaire, les sons et cris qui proviennent du camp. Il retournera à son jeu, comme si ce qui se passait de l’autre côté du mur en faisait partie !

 

Jonathan Glazer plante sa caméra au cœur d’une plaie, celle d’un mal que l’on croyait avoir vaincu. Mais en ces temps, où le populisme se banalise, où certains réécrivent l’histoire, à faire fi du travail de mémoire, de nouveaux murs s’érigent. Et les plaies s’ouvrent une à une. Demeure la puissance mémorielle de la création… comme un baume.

 

 

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